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- L'Histoire en feuilletons -

La Bataille des Plaines d’Abraham

La demi-heure qui a changé le monde
Guy Paquin

Vue de l’église Notre-Dame-des-Victoires à Québec, détruite lors du siège de la ville en 1759. Tableau d’Antoine Louis François Sergent (1751-1847)

Chapitre 5 : À neuf heures, le matin de la bataille : une visite de courtoisie

(suite de la semaine dernière)

Le marquis de Montcalm, revêtu de ses atours de maréchal de camp, examine le petit soldat à la tête de fouine, qui sourit d’un air confiant. « Il fait bien tout ce que vous lui dites ? » « Oui, Monsieur le comte. » « Marquis, corrige Montcalm. » Il se tourne vers le colosse. « Tu ne parles pas français ? » « Non capisco. » « Si jamais ce que je vais faire me mérite la cour martiale, celui-là ne pourra pas témoigner. C’est toujours ça de pris », pense Montcalm.

« Suivez-moi », ordonne-t-il. Les trois hommes entament la montée de l’escalier principal du château Saint-Louis, résidence du gouverneur Vaudreuil à Québec. Puis, ils marchent vers la porte des appartements du maître céans. L’homme de garde se met en travers de leur route. « Pas de visiteurs ce matin, avertit-il. M. le gouverneur l’a interdit. »

Le Marquis de Montcalm, tableau d’Antoine Louis François Sergent (1751-1847)

« Dégage, répond Montcalm. » « Si vous ne partez pas, je devrai vous … » « Rien du tout », interrompt le marquis en faisant signe à la tête de fouine.  Ce dernier pointe du doigt la sentinelle. Le géant s’en approche. Le garde perd du coup toute sa contenance.  Montcalm profite de cet instant d’incertitude : « Je suis ton maréchal de camp et je t’ordonne d’aller faire les cent pas dehors. » « Oui, Monsieur », dit l’homme en s’en allant. « Va bene », sourit l’hercule.

Le trio entre dans le bureau de Vaudreuil où se trouve l’intendant Bigot, en compagnie du gouverneur « Il ne manque plus que les 38 autres brigands », commente Montcalm. « Monsieur le Marquis, ayez la politesse d’attendre dehors », dit Vaudreuil. « Pas le temps », répond le général. Puis, il pointe Bigot du doigt. « Questo », signale la fouine à son ami. Le colosse ramasse dans sa paluche le col de chemise et le col de justaucorps de l’intendant, le soulève et lui dit, toujours souriant : « Je promène. Tu viens avec. » et il sort avec son passager.

« Les Anglais sont sur les Plaines. Il me faut tous les hommes vaillants. »

« Diversion », répond le Gouverneur à Montcalm.  « Et il me faut 20 canons. Ceux de la ville feront l’affaire. » « Vous n’en aurez pas un. » Vaudreuil se lève et annonce : « Vous êtes démis de vos fonctions, marquis. Insubordination. Depuis le temps où vous m’affrontez, j’attends le geste qui vous fera tomber. Votre irruption de ce matin est la goutte qui fait déborder le vase de ma patience. »

« Assoyez-vous, bougre d’âne ! Il y a des centaines d’Anglais sur les Plaines, Samos est entre leurs mains ! Il y a deux jours, j’avais mis le régiment de Guyenne sur place pour soutenir Samos et le chemin du Foulon. Et vous, vous avez profité de mon absence pour les replier sur la côte de Beauport ! Et quand je vous ai demandé tous les canons de Québec, vous m’en avez accordé trois ! »

« Je vous mets en état d’arrestation pour insubordination, Montcalm. Planton ! »

Marquis de Vaudreuil, tableau attribué à Donat Nonnotte (1708-1785)

« J’ai donné son congé au planton. D’ailleurs c’est une imprudence d’en avoir un si près de la porte. Il pourrait entendre les machinations que vous ourdissez avec Bigot et Cadet. Quelle est votre part du magot ? Cinq, dix pour cent ? Et aux bals que donne Bigot, l’argent qu’il perd aux cartes, est-ce le sien ? Non, bien sûr. C’est celui du roi, n’est-ce pas ? Bigot puise dans cette source intarissable, la cassette royale, pour arroser ses amis, dont vous êtes. J’ai les preuves et les témoins. Je veux tous les canons de Québec et tous les hommes valides ou c’est vous qui serez démis. »

Pierre de Rigaud de Vaudreuil-Cavaignal se tait. Puis, il fait : « Vous allez à votre perte, marquis. Ces enjeux-là sont trop grands pour vous, pauvre paysan de Provence. » Montcalm jette un papier sur la table du gouverneur.  « Signez ça. » Puis, il libère son épée de son fourreau. « Signez ! Ce sont vos ordres pour lever le siège de Québec. Nous tenons Wolfe en tenaille. Je mène l’assaut frontal et Bougainville, qui est à Cap Rouge, va l’attaquer par derrière avec toute sa cavalerie. Nous allons jeter Wolfe au Fleuve. La victoire est certaine. Signez. »

Vaudreuil signe et Montcalm saisit le document. « Un bout de papier de conséquence, n’est-ce pas ? Avant de signer vous étiez un gouverneur le plus inepte qui soit. Et maintenant, vous voilà un génie militaire au rang de Turenne ou de Condé. Vous pourriez dire merci, au moins. » Nanti des ordres lui assurant la victoire, le maréchal de camp sort.

Resté seul, Vaudreuil écrit à Bougainville : « J’ai mis l’armée en marche. J’envoie Montcalm avec cent Canadiens en renfort. »  Puis : « Je ne doute pas que vous surveillez l’ennemi. » Quand M. de Bougainville reçoit cette missive, une heure plus tard, il obéit. Il reste sur place avec toute la cavalerie et attend Montcalm qui ne viendra jamais.

La prise de Québec, tableau de Hervey Smyth (1734-1811)