L’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) a publié les résultats d’une étude d’envergure menée sur cinq ans dans laquelle on brosse le portrait de l’état de santé des sols cultivés au Québec. C’est le chercheur en conservation des sols et de l’eau Marc-Olivier Gasser qui a mené cette étude dont les résultats sont présentés en cinq rapports disponibles en ligne. Mandaté par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), l’IRDA a évalué les 71 types de sols les plus représentatifs du Québec agricole, répartis sur 431 sites à travers la province, avec la collaboration de plus de 400 producteurs et de 25 groupes de services conseils en agroenvironnement. L’approche retenue consistait à comparer les propriétés physiques, biologiques et physico-chimiques des sols cultivés à celles de sols témoins non perturbés.
Comme l’avait déjà mis en lumière un premier inventaire des problèmes de dégradation des sols agricoles réalisé en 1990, l’étude récente de l’IRDA confirme que ceux du Québec subissent toujours une forte pression liée à la rotation des cultures annuelles et aux pratiques culturales intensives. Les résultats démontrent également que leur état de santé varie en fonction des régions agricoles et de la nature des sols, ce qui reflète à la fois l’intensité des systèmes de culture, mais aussi la susceptibilité à la dégradation des différents types. Ainsi, les sols cultivés de façon intensive dans le sud du Québec, dans la plaine de Montréal et dans le centre du Québec, sont plus affectés par la compaction et le manque d’aération que ceux des autres régions agricoles du Québec. De plus, leur structure y est davantage dégradée et leur teneur en matière organique y est généralement plus faible.
De façon générale, la dégradation des sols n’aurait pas significativement progressé depuis 1990, la santé de ceux des régions septentrionales apparaissant même moins affectée qu’il y a trente ans. L’importance des superficies sous prairies contribue à préserver leur bonne condition physique. Les sols des régions plus méridionales demeurent néanmoins aussi compacts et manquent autant d’aération qu’en 1990, en raison du type de cultures, principalement le maïs et le soya, qui exigent des travaux aratoires récurrents, parfois en conditions d’humidité défavorables tôt au printemps et tard à l’automne. Ces pratiques culturales contribuent à accroître le risque de dégradation de la structure du sol, de même qu’une baisse de sa teneur en matière organique, lorsque les apports ne suffisent plus à équilibrer les pertes de carbone. Or, celle-ci agit comme un réservoir de nutriments, elle favorise la rétention d’eau, cimente les particules minérales du sol entre elles et joue un rôle protecteur contre l’érosion. Sa teneur dans la couche de surface est donc un élément clé pour la conservation des sols, puisqu’elle influence leur fonctionnement à la fois chimique, physique et biologique.
Si l’étude met en relief les enjeux liés à la santé des sols du Québec, elle démontre également que l’adoption de pratiques de conservation telles que le travail réduit du sol et la mise en place de cultures de couverture permettent d’améliorer leurs propriétés. Déjà observé en conditions de parcelles expérimentales, les bénéfices liés à ces pratiques sont aussi bien mis en évidence dans bon nombre d’entreprises agricoles dans l’ensemble du Québec.
L’étude de l’IRDA conclut en recommandant sept principes d’interventions en appui aux choix de pratiques et de stratégies visant à conserver, voire améliorer, la santé de sols.
Maintenir, voire accroitre les surfaces agricoles en cultures pérennes
Les résultats du 2e rapport de l’étude de l’IRDA démontrent que les systèmes sous cultures pérennes ou sous cultures annuelles associées à des cultures pérennes favorisent généralement un meilleur état de santé des sols que les systèmes en grandes cultures annuelles ou en production maraichère.
Améliorer la gestion des machineries agricoles afin d’éviter la compaction et la dégradation physique des sols
Le problème de compaction est reconnu depuis longtemps au Québec. Les relations étroites entre plusieurs indicateurs de santé des sols et le risque de compaction estimé à partir du nombre de passages, de la taille de la machinerie et des mesures de prévention déclarées par les producteurs sont présentés dans le 2e rapport de l’IRDA.
Accroitre l’utilisation des techniques de travail du sol simplifié ou du semis direct
De façon générale, il est reconnu que l’utilisation répétée et continue du labour conventionnel (charrue à versoir) entraîne la dégradation de certaines propriétés du sol, en particulier de la matière organique dans l’horizon de surface. Plusieurs études réalisées au Québec et à l’international ont mis en évidence l’effet bénéfique et rapide du travail réduit et du semis direct sur la quantité et la qualité de la matière organique, l’activité biologique et la stabilité structurale des sols, en particulier dans cet horizon.
Maintenir une couverture du sol (vivante ou résidus de culture)
Le maintien d’une couverture végétale permanente ou d’un paillis contribue à préserver la matière organique, l’activité biologique, la stabilité structurale et les propriétés hydrauliques du sol.
Diversifier les rotations en grandes cultures
La diversification des cultures est l’un des piliers de l’agriculture de conservation des sols. Au niveau agronomique, il existe de nombreux bénéfices liés à cette diversification, en
particulier pour le contrôle des ravageurs. Les données de l’étude de l’IRDA ont permis de comparer divers systèmes de cultures intégrant ou non des cultures pérennes, annuelles et maraîchères. L’effet bénéfique de la présence de cultures pérennes dans la rotation sur les indicateurs de santé de sols a clairement été démontré par rapport aux cultures annuelles et aux cultures maraîchères.
Favoriser une gestion intégrée des fumiers de ferme
Les fumiers de ferme constituent une source importante d’éléments nutritifs et de carbone à valoriser dans les systèmes de culture au Québec. Ils contribuent à accroître les teneurs en matière organique des sols. Il importe de gérer les fumiers de manière optimale en fonction des plantes cultivées et de la fertilité des sols afin d’éviter une accumulation excessive d’éléments fertilisants. Dans les régions où les teneurs élevées nuisent à la qualité des sols et de l’eau, on devrait envisager de mettre en place de stratégies visant à exporter une partie de ces éléments en excès dans le milieu, notamment en les traitant et les séparant à la source (le phosphore entre autres). De nombreuses solutions existent dans ce domaine.
Éviter sinon réduire ou optimiser l’usage des intrants de synthèse.
L’effet de l’usage des intrants de synthèse (engrais minéraux, pesticides, etc.) sur la santé des sols de même que de tous les produits de synthèses (antibiotiques, contaminants d’intérêt émergent, etc.) qui sont épandus dans les champs n’a pas été étudié en détail dans le rapport de l’IRDA.
On recommande toutefois de mettre en place des stratégies permettant d’éviter sinon de réduire ou d’optimiser l’usage des intrants de synthèse, par mesure de précaution.
Bien que ces solutions soient connues, le climat et les propriétés propres aux sols du Québec, de même que les enjeux économiques, représentent cependant certains défis quant à leur
application. L’accompagnement technique et financier des entreprises agricoles demeure essentiel pour appliquer sur mesure ces principes de saine gestion des sols.
Le maintien de la santé des sols comporte non seulement d’importants bénéfices à long terme pour les entreprises agricoles, mais aussi pour l’ensemble de la communauté. Un sol en santé favorise l’infiltration de l’eau et le recyclage efficace des résidus de culture et des amendements. Une bonne condition physique et biologique contribue à limiter l’intensité du ruissellement de surface lors des fortes pluies et de la fonte du couvert de neige. Rappelons que le ruissellement de l’eau sur les terres agricoles demeure la principale voie de transport des sédiments et des nutriments vers les ruisseaux, les rivières et les lacs. L’investissement dans de saines pratiques de gestion en santé des sols s’inscrit ainsi en première ligne dans la prévention de l’eutrophisation de nos plans d’eau et des proliférations de cyanobactéries dans ceux de notre région.
Pour plus de détails, vous pouvez consulter le lien suivant : https://irda.qc.ca/fr/nouvelles-et- evenements/irda-resultats-etude-etat-sante-sols-agricoles-qu%C3%A9bec/
Personnes ressources :
Marc-Olivier Gasser, chercheur, agronome (IRDA) : marc-o.gasser@irda.qc.ca
Aubert Michaud, chercheur associé (OBVBM) : aubert.michaud@obvbm.org
* L’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi a pour mission d’améliorer la qualité de l’eau de son territoire, de favoriser la concertation des acteurs concernés par la gestion intégrée de l’eau, mais aussi d’informer, de mobiliser, de consulter et de sensibiliser la population à ces enjeux.