L’histoire du Canada a été inscrite au programme des élèves du Québec pendant longtemps, puis retirée. Elle y est peut-être à nouveau, je ne sais pas. Mais je sais que, malgré les livres scolaires, ma génération, celle qui m’a précédée, celle qui m’a suivie n’ont rien appris de ce que j’ai découvert dans le livre de la Frelibourgeoise Pauline Gélinas, publié chez Québec Amérique en 2021.
Trahisons, le tome 1 du roman La Brochure, raconte l’histoire d’un jeune couple d’Ukrainiens venus s’établir dans l’Ouest canadien. Attirés par les mirages du paradis évoqué par un agent de recrutement canadien, Yourij et Olya rêvent de sortir de la misère et d’être débarrassés de la botte austro-hongroise. Leur périple sera un chemin de croix et leur séjour au paradis de très courte durée.
Pour raconter ce récit aux rebondissements incessants, l’auteure a choisi comme personnage central Mikhaïlo, un centenaire en colère qui est le petit-fils d’Olya et l’arrière-grand-père de Léna, une adolescente québécoise pas facile, qui a le mérite de ne pas le traiter comme un vieillard sénile mais comme un individu à part entière. Ainsi nous traversons six générations d’une famille pour qui malheurs et secrets s’additionnent.
À cent ans, ce ne sont plus les années qui comptent mais les jours, et Mikhaïlo veut léguer son histoire à Léna afin que survive la mémoire de ses ancêtres. Il lui parle d’héritage ; elle est cupide et accepte de l’écouter. D’abord rébarbative, peu à peu, elle devient fascinée par cette histoire occultée par l’Histoire.
La traversée de la vie de ces pionniers méconnus nous est racontée de façon astucieuse selon deux modes alternés : d’une part, un récit qui se vit au temps présent par les protagonistes avec les lieux et les dates en début de chapitres et, d’autre part, les questionnements que Léna adresse à son aïeul.
Le contrat signé par le jeune couple ukrainien comportait des clauses écrites en tout petit. On allait leur octroyer une terre de cent soixante acres au Manitoba mais ils devaient, en trois ans, abattre les arbres et transformer le sol en terre arable. Or, le blé semé n’arrivait pas à maturité dans ce climat glacial et bien des Ukrainiens découragés retournaient dans leur pays préférant une misère déjà connue.
Apparaît alors un personnage historique essentiel, Charles Saunders, celui qui a été, selon l’auteure, le déclencheur de toute sa recherche et le moteur pour l’écriture de son livre. Charles Saunders, qui a réellement existé (car si la famille ukrainienne Pylypow est fictive, tous les événements politiques et sociaux ainsi que les personnalités publiques sont ancrés dans la réalité), est un chimiste doublé d’un artiste qui créera un blé hybride à la maturation plus rapide, transformant ainsi l’Ouest canadien en grenier pour tout le pays et bien davantage.
Quelques années de paradis et c’est la première guerre mondiale. Les Ukrainiens sont devenus des ennemis et, à ce titre, déportés… en Abitibi dans des camps de concentration où ils recommencent à défricher et à semer du blé, cette fois sous la botte des soldats canadiens. La guerre terminée, les survivants sont gardés au camp encore pendant presque deux ans comme des esclaves assignés aux travaux forcés, ce dans le but de satisfaire des magouilles politico-financières américano-canadiennes.
En 1954, le gouvernement canadien efface de ses archives toute trace de ces horreurs sans jamais s’excuser auprès des Ukrainiens des sévices subis. À titre de compensation, ils ont droit à un timbre commémoratif.
La famille Pylypow a perdu plusieurs de ses membres au cours de ces années sombres. Ils ont aussi perdu l’amour qui les unissait. Des rancunes, des non-dits, des jalousies séparent la descendance d’Olya. Pour connaître la source de ce malaise transgénérationnel, il faudra lire Dépossessions. Je suis certaine qu’on y apprendra aussi avec intérêt d’autres pages essentielles de notre histoire.