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- Chronique littéraire d'Armandie -

Écriture, vérités et conséquences

à propos de "L'impureté" de Larry Tremblay
Christian Guay-Poliquin

Tremblay Larry. Photo : Bernard Prefontaine

Né en 1954 à Chicoutimi, Larry Tremblay passe désormais ses étés bien caché dans un joli fond de rang de l’Armandie. Auteur de plus d’une trentaine d’œuvres, du théâtre à la poésie en passant par le roman, l’homme est un incontournable du paysage littéraire québécois. L’orangeraie, paru en 2013, a d’ailleurs remporté les honneurs chez nous avant d’être traduit en plusieurs langues. C’est la poignante histoire de jumeaux dans un pays en proie à la guerre et à ses vicissitudes.

Dès les premières pages de son roman L’impureté, on renoue avec son style incisif, sa propension pour les phrases courtes, bien calculées et, surtout, avec la fluidité hypnotisante de ses propos. Roman vortex, histoire tissée en toile d’araignée, réseau de sens où le récit se referme sur lui-même, comme un piège, comme un glissement de terrain, pour nous emporter avec lui.

Dans L’impureté, une grande romancière vient de mourir. Elle laisse derrière elle son mari, son fils, plusieurs lecteurs et un manuscrit inédit… Une fois publié, ce dernier bouleversera la vie de son mari, non pas parce qu’il s’agit d’une œuvre posthume, mais bien parce qu’il s’agit d’une œuvre vengeresse dans laquelle cet homme désemparé est la cible principale. En se situant sur l’indistincte frontière entre la réalité et la fiction, la littérature, dans ce roman de Larry Tremblay, devient simultanément l’instrument de la justice et du mensonge.

Si le lecteur finit par se faire prendre à son tour dans les filets de ce récit renversant, c’est bien que le doute est l’une des matières première de l’auteur. En fait, pour lui, la fiction est d’abord un mode de réflexion. Elle aiguise l’esprit critique en produisant un savoir à partir de l’imaginaire. Elle développe notre faculté de juger en nous ramenant à la dimension sensible du vécu.

Dans L’impureté, Larry Tremblay nous parle notamment du glissement de terrain de Saint-Jean-de-Vianney, au lac Saint-Jean, où une quarantaine de maisons et leurs occupants ont été tragiquement emportés par une coulée de boue dans la nuit du 4 au 5 mai 1971. En évoquant cette catastrophe majeure de l’histoire moderne du Québec, l’auteur met en scène ce fantasme tout aussi moderne : le rêve sourd de l’anéantissement, où la terre s’ouvre pour avaler le monde. Cependant, la réflexion ne s’arrête pas là, bien au contraire, car le souvenir dérangeant de cet évènement rappelle que, parfois, certaines raisons nous échappent et que nous devons tous, un jour où l’autre, apprendre à vivre avec des évènements dont les rouages sont hors de notre compréhension, hors de notre portée.

Ainsi, dans L’impureté comme dans L’orangeraie, la mort plane comme un vautour au-dessus des personnages. Pourtant, dans les deux cas, elle ne sert pas uniquement à déclencher ou à alimenter le récit. Si elle trace de grands traits noirs dans la vie des personnages de Larry Tremblay c’est d’abord et avant tout, selon lui, parce qu’elle permet à l’art d’exister. Autrement dit, c’est parce que nous sommes périssables, impermanents, que notre propre humanité se révèle à nous. Il est étrange, poursuit-il, qu’on occulte tant nos morts en Occident. On voit bien qu’il s’agit là d’une angoisse typiquement judéo-chrétienne, mais la mort fait partie du cours des choses et il revient à la littérature de la rendre un peu plus vivante et un peu moins abstraite.

Contrairement à ce que plusieurs croient, la littérature n’est pas qu’un divertissement, c’est un voyage dans une autre façon de voir le monde. Et c’est justement parce que la littérature nous permet de sortir momentanément de notre propre regard, explique Larry Tremblay avec conviction, qu’elle est en mesure de nous extirper, un livre à la fois, de la gueule béante de la bêtise médiatique et de l’obscurantisme de notre époque. Le danger qui nous guette, poursuit-il, c’est surtout celui d’être heureux, bêtement, en laissant tomber le courage que ça prend pour penser le monde au-delà de notre existence. C’est d’ailleurs dans cette perspective que son texte Résister à la littéréalité vient d’être republié en 2016, chez Alto. Alors que la littéréalité, comme tous les dérivés de la téléréalité, « propose au lecteur un mode d’emploi simplifié de son existence […] la littérature a cette ambition, cette prétention, de ne pas se contenter du réel, d’en être fondamentalement insatisfaite ».

En somme, les pages de Larry Tremblay, à la fois sobres et profondes, nous envoutent une fois de plus. Non seulement le récit de L’impureté est sculpté avec la minutie d’un orfèvre, mais la substance de cette histoire démontre la capacité singulière de l’auteur d’explorer les paysages accidentés des territoires intérieurs. Et, il faut le dire, on le suivrait n’importe où dans ses expéditions.

Larry Tremblay, L’impureté Éditions Alto, 2016, 160 pages

Larry Tremblay, La hache(suivi de Résister à la littéréalité) Éditions Alto, 2016, 80 pages

Larry Tremblay, L’orangeraie Éditions Alto, 2013, 168 pages

 Note de la rédaction

Plus récemment, Larry Tremblay publiait chez La Peuplade, en 2021, le roman Tableau final de l’amour.

Librement inspiré de la vie du peintre Francis Bacon, Tableau final de l’amour fait le récit d’une quête artistique sans compromis, viscérale, voire dangereuse. Dans une Europe traversée par deux guerres s’impose la vision d’un artiste radical dont l’œuvre entière, obsédée par le corps, résonne comme un cri. S’adressant à l’amant qui lui a servi de modèle – ce « petit voleur inexpérimenté » qui, en pleine nuit, s’est introduit dans son atelier –, le narrateur retrace les errances de leur relation tumultueuse. Avec ce roman, rappelant l’érotisme de Bataille ou de Leiris, Larry Tremblay poursuit son œuvre de mise à nu de l’être humain.

Il ne fallait pas peindre la surface des choses, mais ce qu’elle cachait. Ne pas peindre l’espace, mais le temps. Ne pas peindre ton corps, mais sa mort.

https://lapeuplade.com/archives/livres/tableau-final-de-lamour