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- Chronique littéraire d'Armandie -- Environnement -

La Terre vue du cœur

D’après Hubert Reeves, une 6e extinction est en cours et ses conséquences pourraient être terribles.

Scientifique accompli et observateur bien informé de la nature, l’astrophysicien québécois Hubert Reeves, décédé il y a quelques mois, avait compris depuis longtemps la gravité des menaces qui pèsent aujourd’hui sur la planète bleue ; il connaissait bien le taux effarant d’extinction des espèces vivantes. Cela l’inquiétait et le préoccupait, et il n’avait cesse de rappeler à qui voulait l’entendre que la situation est urgente et qu’il est absolument nécessaire d’agir : « Il s’agit, pour l’humanité, de préserver la biodiversité pour se préserver elle-même, puisqu’elle en fait partie et en dépend. »

En bon vulgarisateur scientifique, Hubert Reeves répétait sans relâche que, depuis l’apparition de la vie sur Terre il y a environ 3,5 milliards d’années, notre planète a connu cinq grandes extinctions au cours desquelles ont disparu, chaque fois, de 50 à 90 % des espèces vivantes. Il expliquait que nous sommes désormais au cœur d’une 6e extinction, principalement causée, cette fois, par l’activité humaine, et que la destruction des espèces et la détérioration climatique qui l’accompagne progressent à un rythme jamais vu dans toute l’histoire de la planète. Depuis 1970, celle-ci a perdu 58 % de ses populations d’espèces sauvages.

« Personne ne peut dire ce qui va se passer à l’avenir, mais nous pouvons dès maintenant détailler les menaces, aller voir des lieux où ce que nous craignions est en train de se produire, et cela met en évidence l’importance d’agir et d’agir rapidement. Il faut nous mettre dans l’idée que les décisions que nous prendrons ces années-ci vont influencer le cours de la vie humaine pendant des milliers d’années (…) il nous faut prendre conscience de la totale interdépendance de tous les êtres vivants. »

C’est ce message que le film La Terre vue du cœur s’attache à illustrer afin de mieux le faire connaître au grand public. La réalisatrice y fait appel à Hubert Reeves lui-même, bien sûr, mais aussi à une intéressante brochette d’intervenants décidés, d’une manière ou d’une autre, à trouver les moyens qui permettraient de contrer les effets dévastateurs de cette 6e extinction. On peut se procurer le coffret en librairie ou en ligne.

Le journal a rencontré Iolande chez elle, à Frelighsburg

Iolande Cadrin-Rossignol

Formée à la musique et à l’art dramatique, mais aussi à l’animation de groupe et à la communication, Iolande Cadrin Rossignol a été tour à tour, dans l’ordre et le désordre, musicienne (pianiste), réalisatrice, productrice, scénariste, autrice, directrice générale de la Cinémathèque québécoise, enseignante en créativité, en musique, en cinéma, en intervention sociale… Une touche à tout infatigable ! C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui. On n’arrête pas une géante !

Son intérêt pour l’environnement se manifeste dès son premier film, La question que je me pose (1973), un documentaire portant sur Pierre Dansereau, scientifique québécois reconnu mondialement comme l’initiateur de l’écologie et des sciences de l’environnement.

Vers la fin des années 1980, elle scénarise un long-métrage sur le roman québécois Menaud, Maître-Draveur et publie, aux Éditions Fides, Félix-Antoine Savard : Le continent imaginaire, qui porte sur son auteur « En faisant les recherches pour ce travail, explique-t-elle, j’ai découvert pourquoi Félix-Antoine Savard n’avait jamais publiquement pris position en faveur de l’indépendance politique du Québec : c’est parce que, par-delà son amour de la patrie, il y avait l’amour de la nature, de l’environnement des vastes territoires d’Amérique. Dans les descriptions des paysages qu’on retrouve au fil des pages de Menaud, Maître-Draveur, on peut reconnaître la langue du frère Marie-Victorin, botaniste québécois, auteur de la Flore laurentienne et fondateur du Jardin botanique de Montréal. » Elle nous apprend ainsi que l’auteur était un admirateur de Marie-Victorin et, davantage qu’un patriote, un écologiste avant l’heure.

Le Saint-Armand : Comment en êtes-vous venue à travailler avec Hubert Reeves ?

Iolande Cadrin-Rossignol : À cette époque, vers 1997, je réalisais des films documentaires à l’Office national du film (ONF) et je voulais en faire un sur Hubert Reeves, qui était alors relativement peu connu au Québec, tout en jouissant d’un beau succès en France. Lorsque mon producteur prend contact avec Monsieur Reeves pour lui faire part de mon projet, le scientifique lui dit : « Pas cette année, l’année prochaine ». Pendant un an, je lis donc tout ce qu’il a écrit afin de me préparer puis, un an plus tard, il me donne rendez-vous dans un café, à Paris. Je finis par convaincre mon producteur de payer mon billet d’avion, aller-retour, pour aller prendre un café à Paris. Impressionnée, j’arrive au café et je m’adresse à Hubert en le vouvoyant. Il m’interrompt aussitôt et insiste pour qu’on se tutoie. Me voilà donc à Paris, à tu et à toi avec Hubert Reeves ! Puis arrive sa conjointe Camille Scoffier, avec un bouquet de fleurs. Ils m’invitent à Hautefeuille (Malicorne), une vieille ferme au nord de la Bourgogne, qu’ils ont restaurée pour en faire un lieu de rencontre et de culture, un centre bouillonnant vers lequel convergent plusieurs scientifiques, artistes et autres intellectuels. C’est beaucoup plus qu’une résidence familiale, c’est comme un mouvement socio-culturel.

S.-A.  :  Une sorte de creuset d’alchimiste ?

I. C.-O. : En quelque sorte, oui. Quand j’y suis allée, j’y ai rencontré plein de gens très intéressants et la magie a opéré, j’étais admise dans le cercle, nous sommes devenus des amis. C’est de là que sont partis les trois films que j’ai fait avec Hubert Reeves.

S.-A. :  Trois films ?

I. C.-O. : Oui, il y a eu Hubert Reeves : conteur d’étoilesen 2000. Ce premier film a remporté un beau succès et il tourne encore d’ailleurs ; c’est l’un des produits les plus distribués de l’ONF. Mais je trouvais que je n’avais pas encore rendu justice à l’astrophysicien avec ce premier film. En 2010, j’en ai donc fait un second, Du Big Bang au vivant, avec Hubert et Jean-Pierre Luminet, un autre astrophysicien rencontré à Malicorne, qui a déjà reçu le titre de meilleur vulgarisateur scientifique de France. Finalement, il y a eu La Terre vue du cœur, en 2018, qui met davantage l’accent sur le côté militant écologiste d’Hubert.

Je tiens à souligner que tout cela n’aurait pas été possible sans l’amitié et le dévouement d’Hubert Reeves et de sa femme Camille Scoffier-Reeves qui, depuis plus de vingt ans et durant le tournage de trois documentaires, ont soutenu ma démarche de réalisatrice en me permettant un accès illimité à la ferme de Hautefeuille (Malicorne). Leur amitié s’est avérée une immense source d’inspiration à poursuivre ce travail de recherche et d’écriture. C’est avec une immense affection que je désire rendre justice à l’envergure humaine et intellectuelle qui les anime.

Je veux également remercier Marie-Dominique Michaud qui m’a assistée en tant que productrice et coscénariste pour ce troisième film.

S.-A. : L’amitié qui existe entre vous et Hubert Reeves explique sans doute le climat d’intimité que l’on ressent lorsque l’astrophysicien regarde la caméra durant ce film. En fait, il s’adresse à une amie intime, qui tient cette caméra…

Merci madame Cadrin-Rossignol de partager cela avec nous.

Les personnalités qui interviennent dans La Terre vue du cœur :

Hubert Reeves, astrophysicien et auteur

Hubert Reeves, astrophysicien et auteur

Frédéric Lenoir, philosophe, sociologue et auteurKarel Mayrand, directeur général de la Fondation David SuzukiMichel Labrecque, conservateur et chercheur, Jardin botanique de Montréal

Jérôme Dupras, professeur et chercheur en économie forestière, et bassiste des Cowboys fringants
Karine Péloffy, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement
Élise Desaulniers, directrice générale de la SPCA de Montréal

Robin Wall Kimmerer, professeure de biologie environnementale et forestière
Edith A. Widder, océanographe, Ocean Research & Conservation Association (États-Unis)
Emmanuelle Pouydebat, directrice de recherche au CNRS France

Mario Cyr, cinéaste québécois (madelinot) et explorateur des fonds marins
Stefan Sobkowiak, biologiste, permaculteur, agriculteur et auteur

NOTE DE LA RÉDACTION

En novembre dernier, sortait également le documentaire L’Océan vu du cœur, aussi réalisé par Iolande Cadrin-Rossignol et Marie-Dominique Michaud, film dans lequel Hubert Reeves, entouré de scientifiques, d’explorateurs passionnés, nous propose de redécouvrir ce qui menace l’océan et surtout, sa capacité de régénération phénoménale. Un hymne au Vivant, dans ce qu’il a de plus riche, de plus précieux et nécessaire à préserver si l’on veut survivre, parmi d’autres espèces, sur notre planète bleue.

Renseignements : https://vuducoeur.com/