Alexis Louis Demers 1825 – 1886
C’est le 3e propriétaire de l’horloge du chemin de Chambly.
Note de la rédaction
Pour être fidèle à l’orthographe usuelle en matière de toponymie dans le Canada du 19e siècle, l’auteur a choisi d’orthographier les noms à la manière britannique (St. Armand plutôt que Saint-Armand). Choix que nous respectons à sa suite. Rendons au 19e ce qui lui appartient !
Introduction
Nous sommes à la fin de l’époque du Canada-Uni et au début de la Confédération. L’horloge du chemin de Chambly se trouve à Henryville, où elle a été transportée depuis Bedford, un village d’environ 400 habitants, après avoir été acquise par Alexis Louis Demers de son oncle le notaire Édouard René Demers. Henryville, municipalité de frontière, a une population importante qui, avec St. Sébastien, un démembrement d’Henryville, et les paroisses est d’environ 5 800 habitants. Un chemin de fer a été construit dans la région par le Montreal and Vermont Junction Railway pour faire le lien entre Montréal et Boston. Une des gares a été établie à St. Armand. Il y a aussi un arrêt à Moor’s Corner. Un service de diligence, alors appelé stagecoach, fait le lien avec Pigeon Hill et Philipsburg. Il en est de même des autres gares de la région.
Henryville est desservie par la station de Pike River et Malmaison. Hervé Demers, le cocher, y attend les passagers et le courrier qu’il ira mener à bon port. La Rivière-aux-Brochets est un cours d’eau tributaire du lac Champlain et de la rivière Richelieu. Après avoir traversé Frelighsburg, Stanbridge East, Bedford et Pike River, elle se jette dans la baie Missisquoi. Malmaison est un manoir situé à courte distance de Pike River. James McGill, le fondateur de l’université McGill, épousa la veuve d’Armand DesRivières. Elle avait deux fils de son premier mariage et ils furent adoptés par McGill comme ses enfants. Modelée sur celle de la France, la Malmaison fut construite par eux.
Alexis Louis Demers est né en 1825 à St. Jean Chrysostome, comté de Châteauguay. En 1832, il déménagea sur le chemin de Chambly à Longueuil quand son père Alexis Demers reprit l’auberge que lui avait laissé le sien. Il ne fit, tout au plus, que des études élémentaires. C’était une époque où le système scolaire était bouleversé par des conflits politiques qui finirent par donner lieu à la Rébellion. La rafle des Patriotes de janvier 1838 le fit déménager à Henryville à l’âge de 12 ans, avec son grand-père François et son père Alexis. Une bonne partie du village était alors couverte de bois. Vers 1840, grâce à l’intervention de son oncle Édouard René Demers, il devint le jeune commis de Joseph Gariépy, marchand général et premier syndic lors de la construction de l’église de St. George d’Henryville. Cette construction occupait beaucoup Gariépy dont les absences répétées permirent à Alexis Louis Demers de se familiariser rapidement avec toutes les opérations du commerce. Il n’avait alors que 15 ans.
Il fut aussi l’adjoint de son oncle, le notaire Édouard René Demers. En évoquant cette période, il disait en riant qu’il avait été le clerc de notaire le plus vieux de son époque. Comme il n’avait pas l’éducation requise pour devenir notaire, il assistait son oncle dans ses fonctions diverses, particulièrement dans le domaine municipal et scolaire et lors des élections où ce dernier était candidat du Parti Rouge. C’est ainsi qu’il fut initié à ces fonctions, nouvelles à l’époque. Quand, le 2 août 1855, son oncle Édouard René fut nommé maire d’Henryville, Alexis Louis devint secrétaire-trésorier de la municipalité d’Henryville durant la première année de ce mandat. Il avait trente ans. C’était la première fois qu’il occupait un poste officiel.
Le 22 octobre 1855, Alexis Louis épousa en secondes noces Marie Goyette, née le 7 juillet 1835 à St. Athanase (Iberville) et âgée de vingt ans. Elle venait d’une famille pauvre et n’avait aucune instruction. Elle ne savait même pas signer son nom. Cependant, elle jouissait d’une excellente santé, était d’une grande beauté et manifestait une vive intelligence. Au début, la jeune mariée n’était pas bien vue par la parenté. Cependant, selon Hermine, la sœur d’Alexis Louis, les opinions ont changé rapidement et ceux qui avaient le plus critiqué ce mariage furent les premiers à s’en féliciter. Mon grand-père Louis-Philippe a écrit que Marie Goyette s’est facilement adaptée à son nouveau milieu. Vivant avec des personnes instruites, elle parlait aussi bien qu’elles, voire mieux qu’Alexis Louis, qui prononçait mal des mots qu’il écrivait pourtant correctement.
Alexis Louis parlait comme les habitants de son village, du Québec en fait. On appelle aujourd’hui ce parler le joual. Entre autres, le « e » se prononce comme un « a » devant un « r ». Ce jargon est aussi marqué par la palatalisation : le « t » se prononce « ts » et le « d », « dz » . « Tsé j’veux dzire ». Les cultivateurs de ce temps-là parlaient ainsi, parsemant leurs phrases de termes anciens importés de la Normandie et des autres provinces situées le long de la côte française. Ces termes se trouvent dans le Dictionnaire général de la langue française au Canada de Louis-Alexandre Bélisle. Dans ma jeunesse, dans les années 1940, j’ai souvent entendu les gens dire « moé et toé ». Ce que j’imitais comme enfant. Voilà que sans le savoir je parlais comme mon arrière-grand-père.
Alexis Louis Demers et l’éducation
Alexis Louis avait peu d’éducation. Il ne connaissait pas l’anglais, ce qui lui causa de nombreux problèmes au cours de sa vie. Son oncle le notaire lui apprit à écrire correctement. Quant à Joseph Gariépy, le marchand général, il lui apprit à compter. Au contact de ces deux personnes, Alexis Louis comprit l’importance de l’éducation. Il créa la première école modèle dans le Haut-Richelieu, il avait fait venir un professeur de l’école normale dont le salaire, fabuleux pour l’époque, était de 450 $ et qui était par ailleurs logé et chauffé. Les enfants qui allaient à cette école connaissaient le français, l’anglais et les mathématiques à la perfection, si bien que quand ils se retrouvaient au cours classique, ils étaient des premiers de classe. Ses fils étudièrent au séminaire de St. Hyacinthe, à l’instar de ceux du notaire Édouard René Demers qui y avaient inscrit les siens.
Marchand général
Joseph Gariépy étant décédé en 1854, Alexis Louis Demers et son cousin Xavier Darche firent l’acquisition du commerce du neveu de M. Gariépy, qui en avait hérité. Alexis Louis devint alors marchand général. Cette association avec son cousin dura jusqu’au démembrement de Henryville par l’établissement de St. Sébastien. M. Darche pensa alors qu’il n’y avait plus assez de profit à réaliser pour les deux associés. Il quitta donc Henryville pour Danville. Il eut raison car il réalisa promptement une jolie fortune. Apparemment encouragé par cet exemple, Alexis Louis Demers avait acheté 1000 acres de terre à Barnstown, près de Coaticook. À l’automne de 1876, il s’y installa et y acheta une jolie maison. En 1878, après avoir perdu plusieurs milliers de dollars, il revendit le tout et retourna s’installer à Henryville. Ce fut la seule erreur de sa vie. Il avait vendu avec perte les propriétés qu’il possédait à Henryville et à Barnstown.
La mairie
Le 24 avril 1858, Alexis Louis est nommé commissaire de la Cour des commissaires pour la paroisse de St. George d’Henryville, puis juge de paix en 1860. Le notaire Demers ne s’était pas présenté lors de l’élection en 1858. Le 24 janvier 1860, Alexis Louis Demers est élu conseiller et fait son entrée au conseil municipal de la paroisse. Le 13 juillet 1861, à la suite de la démission de Robert Wright, Alexis Louis Demers est élu maire du conseil municipal de la paroisse de St. George d’Henryville et il est assermenté séance tenante par le notaire Édouard René Demers.
Alexis Louis Demers et Louis Molleur
Le 17 juin 1862, Louis Molleur fils est nommé surintendant spécial par le conseil municipal de Henryville sous la présidence d’Alexis Louis Demers. Le 8 juillet 1863, Louis Molleur est nommé secrétaire-trésorier de la municipalité pour succéder au notaire Thomas Brossard, qui occupait cette fonction depuis le 5 novembre 1855. Louis Molleur est originaire de L’Acadie, où il a occupé la fonction d’instituteur. Il a ensuite vécu à St. Valentin, où il fut commerçant avant de s’établir à Henryville à la suggestion, sans doute, du notaire Demers qui a des liens avec L’Acadie où il a fait sa cléricature et où il a épousé Domitilde Bourassa. Celle-ci est la fille de François Bourassa père, l’un des propriétaires terriens des plus importants dans la paroisse de L’Acadie. Molleur ira par la suite s’établir à St. Jean. Louis Molleur et Alexis Louis Demers joueront un rôle important dans leurs carrières respectives.
Menace d’invasion du Canada : les Fenians
C’est au printemps de 1865 que Jules Lucien Roy, qui réside à Henryville, décide d’aller voir Mélanie Demers à l’auberge de ce village que tient son père Narcisse Demers. La famille Roy est importante à Henryville et ailleurs dans la vallée du Richelieu. Les Roy sont nombreux et plusieurs membres de cette grande famille sont des gens influents. En entrant dans l’auberge, Jules Lucien constate qu’il y a beaucoup de monde et que s’y tient une discussion animée. En plus de l’oncle de Mélanie, on y trouvait le notaire Édouard René Demers, frère de Narcisse Demers, et leur neveu, Alexis Louis Demers, maire d’Henryville. Aussitôt, on lui adresse la parole. C’est alors qu’il apprend qu’il y a des milliers de membres de la société irlandaise The Fenians qui s’agitent. Ce sont des militaires qui ont participé à la guerre civile entre le nord et le sud des États-Unis. Ils se préparent à envahir le Canada pour attaquer la Grande-Bretagne et obtenir l’indépendance de l’Irlande. Le gouvernement du Canada vient d’émettre un avis de recrutement de 10 000 miliciens pour défendre le pays. On cherche des candidats pour suivre le cours d’officier de la milice canadienne. La nouvelle ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Fort des renseignements obtenus de ces augustes personnes, Jules L
ucien Roy ira suivre les cours d’officier à la School of Military Instruction, installée le 28 février 1865 au marché Bonsecours de Montréal. Ensuite, cette école militaire s’établira dans l’arsenal du square Victoria. Le 8 mars 1866, Jules Lucien Roy deviendra officier deuxième classe de la milice canadienne. Il suivra un deuxième cours et, le 4 avril 1866, il deviendra officier première classe du régiment d’Iberville et enseigne (sous-lieutenant) du 5e bataillon-Rouville, comprenant la milice résidente de Henryville.