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- Affaires municipales -

Un parc industriel à Saint-Armand ?

Pierre Lefrançois

À Saint-Armand, ce projet de parc industriel régional divise, depuis plusieurs mois, les élus et les citoyens qui ont assisté à des assemblées municipales parfois « agitées ». Cette agitation a atteint un sommet quand le conseil municipal de Saint-Armand a laissé l’impression qu’il comptait se retirer du projet, avant même que ce dernier ne soit rendu public, qu’il soit soumis à l’attention des citoyens et qu’il fasse l’objet d’une analyse honnête et sérieuse. Ce qui ne nous semble pas être dans l’esprit d’une saine démarche démocratique. Nous croyons que les citoyens doivent être mis au courant et que les candidats aux élections du 5 novembre puissent faire part de leurs intentions relativement à ce projet. Nous concentrons aujourd’hui notre attention sur Saint-Armand, mais nous comptons suivre, au cours des prochains mois, l’évolution de ce dossier dans les autres municipalités concernées.

On sait depuis belle lurette que les huit municipalités du pôle de Bedford souffrent cruellement d’un déficit démographique important. Ce déficit est plus prononcé ici que dans la plupart des grandes agglomérations du Québec et le phénomène frappe plus sévèrement chez nous que dans le reste de la MRC de Brome-Missisquoi. Ce déficit démographique entraine forcément une baisse des revenus municipaux qui se traduit, à plus ou moins court terme, par la dévitalisation de la région : érosion des services offerts à la population, fermeture de bureaux de poste, de commerces, de caisses populaires et de banques, de stations d’essence, d’épiceries, coupures dans les services de santé, etc. On peine à maintenir les services publics de cueillette des déchets, de loisirs, des services d’incendie et de sécurité publique. Bref, tout le monde le dit, il faut attirer de jeunes familles qui vont revitaliser le territoire. Mais comment y parvenir ?
Ayant pris conscience de ce problème criant, les autorités de la MRC et du Centre local de développement (CLD) ont réfléchi à la question. Un groupe d’élus et d’experts en sont venus à la conclusion que l’un des meilleurs moyens d’y arriver serait de créer un parc industriel qui inviterait dans la région quelques petites et moyennes entreprises susceptibles de créer des emplois bien rémunérés. Ce qui attirerait des familles dont les enfants permettraient le maintien de nos écoles, des gens dont les salaires seraient assez élevés pour qu’ils puissent se loger dans la région, y vivre et contribuer au maintien de nos commerces. Entendons-nous : on ne parle pas d’attirer des fabricants d’avions ou de trains, des alumineries, des aciéries, des cimenteries ou d’autres géants de l’industrie lourde. Il s’agit plutôt de construire des sortes de condos industriels pouvant accueillir une variété de petites et moyennes entreprises œuvrant dans des domaines autant que possible proches de ce qui existe déjà ici.
Pourquoi un développement industriel plutôt qu’autre chose ? Parce que, en règle générale, pour chaque emploi créé au niveau industriel, un ou deux autres emplois le sont dans le domaine des services. C’est le cas partout sur la planète. Toutes les données le confirment depuis des années, dans tous les pays développés et sur tous les continents : un emploi dans un domaine industriel quel qu’il soit en génère automatiquement plus ou moins deux autres dans les institutions et commerces de proximité. « Pour être précis, un emploi industriel en génère 1,8 autre, selon la dernière étude en date publiée à l’université de Liège en Belgique », explique Louis Grenier, associé principal de la firme d’experts embauchée par la MRC pour aider à trouver une solution à l’impasse de développement dans laquelle se trouve notre région.

Problème commun, solution collective

Puisqu’il est difficilement imaginable d’attirer des industries dans chacune des petites municipalités rurales de la région, notamment en raison des objections que ne manquerait pas d’émettre, non sans raison, la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), le comité d’élus et d’experts mis en place par la MRC a pensé que chacune des huit municipalités pourrait contribuer à la création d’un parc industriel régional, se partageant les dépenses encourues et les profits éventuels.
Il fallait d’abord voir où l’on pourrait installer un tel parc sans compromettre l’intégrité du territoire agricole et en protégeant également les secteurs résidentiels, les noyaux villageois, les secteurs récréatifs, les systèmes écologiques fragiles, etc. Les membres du comité ont identifié deux sites, de part et d’autre des gisements calcaires exploités depuis des décennies, notamment par Graymont et Omya : un site à la limite entre le canton et la ville de Bedford, sur la route 202, l’autre à l’endroit où le tronçon à venir de l’autoroute 35 viendra rejoindre la 133 à la hauteur des chemins Champlain et du Moulin, à Saint-Armand, soit à deux ou trois kilomètres du noyau villageois de Philipsburg.

Selon Louis Grenier, le site de Bedford ciblerait des petites et moyennes entreprises œuvrant dans l’un ou l’autre des nombreux domaines reliés au calcaire (ils sont très nombreux et en pleine croissance, notamment dans le domaine des technologies environnementales), tandis que celui de Saint-Armand viserait surtout des entreprises impliquées dans la logistique du transport routier, comme celles de la famille Messier déjà implantées dans le secteur, notamment en raison d’un poste douanier à proximité.
L’idée, c’est que les travailleurs qui occuperont les emplois générés à chacun de ces deux sites logeront leur famille dans l’une ou l’autre des municipalités du coin, enverront leurs enfants dans une école de la région, consommeront les services des commerçants d’ici et, par conséquent, contribueront à la revitalisation de l’ensemble de la région.

Première étape : dézonage des deux sites

Les terrains visés par le projet sont évidemment zonés verts, comme pratiquement tous ceux de la région. Pour que la CPTAQ autorise une dérogation pour fin d’usage industriel, il faudra plaider auprès des commissaires que la demande n’en entrainera pas une série interminable d’autres similaires de la part de chacune des municipalités du territoire. En bref, il s’agit de démontrer à la commission que les instances municipales locales s’entendent pour limiter l’empiètement sur les terres agricoles à ces seuls deux sites pour, disons, quelques dizaines d’années. À défaut d’un tel engagement collectif, il semble peu probable qu’elle autorise les dérogations nécessaires à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Bref, pas d’entente de collaboration, pas de solidarité, pas de parc industriel, point à la ligne.
Or, depuis avril 2017, les élus de Saint-Armand refusent, mois après mois, d’autoriser le paiement de leur portion des frais relatifs à cette demande collective de dérogation. Pourquoi donc ? Ceux et celles qui ont assisté aux assemblées municipales n’ont pas entendu beaucoup d’arguments convaincants ni dans un sens ni dans l’autre, mais nous avons compris que deux des membres du conseil sont propriétaires des terres visées par le projet : les conseillères Marielle Cartier, mairesse par intérim depuis le décès de Réal Pelletier et qui a sagement décidé de ne plus participer aux discussions concernant ce dossier, et Ginette Lamoureux-Messier, dont les terres ont récemment été exclues du projet parce que la famille Messier refusait de participer aux consultations proposées par la MRC aux propriétaires concernés.
Par conséquent, le journal Le Saint-Armand a offert aux conseillers municipaux actuels de Saint-Armand de se prononcer sur ce dossier, crucial pour l’ensemble de la région. Nous avons décidé de ne pas solliciter l’avis de la mairesse par intérim Marielle Cartier (conseillère au siège no 3), puisqu’elle a des intérêts pécuniaires dans le dossier. De même, nous n’avons pas consulté le conseiller Clément Galipeau, puisqu’il a déjà annoncé qu’il ne se représenterait pas. Nous avons aussi sollicité l’avis des candidats (déclarés à ce jour) qui briguent un siège à la mairie ou comme conseiller ou conseillère.

Ce que pensent vos élus et les candidats

Daniel boucher, conseiller au siège no 1 et candidat au même siège

Il est actuellement le seul conseiller en place à plaider en faveur de ce projet. Le 7 août dernier, il proposait qu’une rencontre d’information soit organisée afin d’informer les citoyens au sujet du projet de parc industriel régional. Richard Désourdy, Ginette Lamoureux-Messier et Clément Galipeau votaient contre cette proposition, qui fut donc rejetée. « Je suis en faveur parce que je veux sauver notre école, enrayer les fermetures de commerces dans la municipalité et attirer de nouvelles familles. D’ailleurs, le défunt maire, Réal Pelletier, était partisan de ce projet », précise-t-il. Selon lui « c’est une occasion à saisir, c’est peu risqué et, de toute façon, c’est un beau risque ».

René Daraîche, candidat à la mairie

« Je suis tout à fait en faveur de ce projet, dit-il, parce que je crois qu’il faut à tout prix éviter que Saint-Armand continue de mourir comme il le fait maintenant. On ne peut plus regarder le train passer sans rien faire. On a beau dire ce qu’on voudra, il faut bien admettre que, malgré toute la meilleure volonté du monde, notre école ne survit que très difficilement et qu’en fait, elle est actuellement sous le respirateur artificiel. Je suis placé pour vous dire que d’autres services municipaux sont également menacés, dont celui de la sécurité publique, pompiers et premiers répondants ». Il précise toutefois qu’il n’est pas d’accord pour exproprier des terrains contre la volonté des propriétaires et qu’il ne privilégierait pas cette voie en cas de litige : « on regarderait plutôt ailleurs, c’est tout ».

Guy Paquin, candidat au siège no 2

« Je suis plutôt favorable, dit-il, mais mettons que j’ai des espoirs et des hésitations en raison du peu de données dont je dispose actuellement. Je serais cependant révulsé si ce projet était rejeté par le conseil sans que le public ait l’occasion d’en prendre connaissance et d’en évaluer les valeurs et les défauts. On pourrait, par exemple, exiger que la MRC offre quelque garantie financière. Autrement, on pourrait envisager d’y aller en faisant cavalier seul, de manière prudente et graduelle, en créant une réserve foncière par exemple, le temps de trouver un ou des investisseurs sérieux, prêts à s’engager. »

Barbara Martel, candidate au siège no 3

Elle avoue d’emblée ne pas en savoir beaucoup sur les détails de ce projet, mais elle souligne : « Pour attirer des jeunes familles chez nous, j’accorderais plutôt la priorité à des initiatives comme le déploiement de la fibre optique et le développement du tourisme et d’un mode de vie favorable à l’environnement, comme cela se fait dans d’autres municipalités comme Frelighsburg ou Dunham. »

Caroline Rosetti, candidate au siège no 4

Elle estime ne pas disposer de suffisamment d’information pour se prononcer sur ce projet. Elle souhaite fortement qu’une assemblée publique soit organisée rapidement afin que les citoyens puissent être informés de manière complète et objective.

Louis Hautecloque, candidat au siège no 5

« Je serais incapable, à l’heure actuelle, de vous dire exactement de quoi il retourne et je serais même prêt à parier que nous ne pourrions pas trouver 10 citoyens de Saint-Armand qui savent exactement en quoi consiste ce fameux projet. La communication sur ce dossier a été franchement lamentable. Je suis d’avis qu’il nous faut reprendre la démarche à zéro, convoquer les responsables de ce projet de parc industriel et les inviter à venir expliquer clairement aux citoyens quels sont les tenants et aboutissants de cette démarche : où exactement veut-on ériger ce parc ; quel genre de bâtiments viendront s’installer dans le paysage ; a-t-on déjà une idée des clients potentiels ; a-t-on déjà une idée du type d’emplois qui seront générés par cette initiative ; quelles sont les démarches que la municipalité aura à assumer… Et, surtout, à quel coût. Une fois que nous aurons toute l’information, je suis d’avis que la communauté de Saint-Armand devrait se prononcer par référendum sur la pertinence de ce projet, car tous les citoyens de la municipalité seront affectés par cette nouvelle réalité… Et pour longtemps ! »

Dany Duchesneau, candidat au siège no 6

« Je n’ai pas d’opinion franchement arrêtée sur ce projet de parc industriel, par ailleurs je suis conscient qu’il nous faut, collectivement, imaginer des projets qui attireront de nouveaux résidents et généreront des taxes. En ce qui concerne ce projet précis, je suis d’avis qu’il nous faut recueillir un maximum d’information, la partager ouvertement avec nos concitoyens et écouter attentivement leur opinion, qu’elle soit favorable ou non au projet. Une fois que nous aurons fait cette démarche, le Conseil pourra prendre une décision éclairée qui reflétera l’opinion de la collectivité. »