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- Gens d'ici -

Guy Dufresne

Jef Asnong

Nous publions ici la première partie de ce texte qui se poursuivra dans le prochain numéro.

On respecte la langue
parce qu’elle est un bien commun,
mais elle est néanmoins et avant tout
un bien personnel de chacun.

Ayant conçu le projet de présenter l’auteur Guy Dufresne aux gens de sa région, je me suis senti, au fur et à mesure de mon enquête, plutôt audacieux. Le personnage est encore plus hors norme qu’il n’y paraît à prime abord.

J’ai connu guy Dufresne brièvement dans les années 1960-1970, assez toutefois pour avoir été conquis par la qualité de son travail et séduit surtout par son profond humanisme. Mais il surprend aussi par l’abondance de sa production littéraire autant que par ses interventions à saveur sociale dans son milieu de vie.

Je me suis rendu compte qu’il est bien connu dans sa région d’adoption. Son œuvre, en particulier certains de ses téléromans, dont Cap-aux-Sorciers et Septième Nord, a toutefois une notoriété étendue qui dépasse la sienne. Raison suffisante pour lui rendre l’honneur qui lui est dû1

L’attrait du mont Pinacle

 Guy Dufresne est né le 17 avril 1915, dans la paroisse de Saint-Enfant-Jésus-du-Mile-End de Montréal. Il a fréquenté les académies Bonsecours et Querbes de même que les collèges Sainte-Marie et Jean-de-Brébeuf, tenus par des Jésuites. On peut supposer que l’élève a subi l’influence de l’époque, marquée par l’omniprésence de la religion. Mais c’était aussi le prélude à la Révolution tranquille, terme qui veut dire aussi que c’était plus tranquille avant…

Il y eut bien des débats véhéments. L’un de ses professeurs, le réputé François Hertel, se serait inspiré de l’étudiant Guy Dufresne pour créer le personnage de l’un de ses livres… Hertel faisait lire Baudelaire à ses élèves. Cela n’empêcha pas Guy Dufresne d’être attiré par les ordres ni de maintenir une correspondance avec son ancien professeur. De toute façon, il fut refusé pour des raisons de santé. Il ne fut pas non plus une grenouille de bénitier. Son humanisme se nourrissait aux sources traditionnelles, mais il avait l’esprit ouvert. Les textes qu’il écrivit à l’époque laissaient présager ce qui se passerait dans les années 1960. Il obtint son baccalauréat en 1939.

Sur cette cette période, il écrivit : « J’ai fini mon cours “ sur le derrière ” avec un “ voile ” au poumon droit ».2

Entretemps, vers 1935, il accompagna son père lors d’un voyage à Maria, petite municipalité gaspésienne donnant sur la Baie-des-Chaleurs. Un mélomane faisant jouer du Mozart attira leur attention. C’était plutôt inusité. Il s’agissait du frère d’Anne-Marie Lucier. On fit connaissance et, entre les jeunes, l’amour naquit aussitôt. Anne-Marie avait étudié plus longtemps que la majorité des femmes de cette époque.

« Elle a été assez “ folle ” pour l’épouser, Guy, qui avait souffert de tuberculose, instruit, mais sans une “ cenne ” dans les poches. Elle le suivra sans l’ombre d’une hésitation et l’a toujours soutenu comme auteur, comme pommiculteur, en tout. »3 Le couple se maria en 1939.

 

Pour soigner son poumon, on lui conseilla le grand air. C’est ainsi qu’il vint se ressourcer au mont Pinacle.

 Le pommiculteur

Anne-Marie et Guy Dufresne dans leur verger, en 1940 (Photo Succession Guy Dufresne)

Ce fut l’époque où, sous la guidance d’agronomes pionniers, la pommiculture s’implanta dans la région. Dans son livre d’histoire qui porte le beau titre Quand Frelighsburg est tombé dans les pommes, François Renaud raconte comment les agronomes-pommiculteurs Adélard Godbout et Paul-Omer Roy, entre autres personnes, œuvraient en ce sens. Paul-Omer Roy fut muté ailleurs pour des raisons liées à la politique de l’époque. Il quitta donc la région de Frelighsburg et, à contrecœur, se résolut à vendre son précieux verger du chemin Abbott’s Corner (qui relie le chemin du Pinacle à celui de la Grande Ligne) au futur dramaturge Guy Dufresne, alors âgé de vingt-quatre ans.4

Son grand ami des temps de collège, Bernard Lanctôt, avec lequel il avait fréquenté les collèges Sainte-Marie et Jean-de-Brébeuf, le suivit et devint un pionnier de la sylviculture dans notre région. Ils passèrent leur vie côte à côte.

Guy apprit les rudiments de la pommiculture. Il fut membre fondateur de l’agence de ventes de pommes de Farnham, un organisme qui précéda la création de la Coopérative des producteurs de pommes de Frelighsburg. On ne possèdait pas alors les variétés de pommes résistantes qui furent sélectionnées plus tard. Guy rêvait de mener de front une double carrière de pommiculteur et d’écrivain. La nature lui donna un coup de main.

En avril 1945, un fort gel abîma les fleurs de son verger. Il se réfugia à Sherbrooke où il obtint un emploi à la Régie du bois de chauffage. Pratiquement en même temps, Radio-Canada lança son premier concours littéraire. Il soumit Le Contrebandier, un texte de fiction qui lui valut le premier prix.

Son rêve se réalisa, certes, mais cela ne fut pas de tout repos. Auteur prolifique, il écrivait aussi par nécessité économique.

Aurélien Boivin et Lucie Robert de l’Université Laval ont établi une bibliographie dont la seule liste de ses travaux et des études et articles consacrés à son œuvre compte 21 pages !5

Il signa des textes régulièrement diffusés à la radio et à la télévision qui le rendirent célèbre. Il écrivit aussi des pièces de théâtre. Il fut d’ailleurs l’un des premiers scénaristes au monde à écrire pour la télévision francophone. Traductions, adaptations des œuvres des dramaturges John Steinbeck, Tennessee Williams, Anton Tchekhov et Luigi Pirandello firent partie de sa production. L’adaptation du roman Des souris et des Hommes de John Steinbeck réalisée par Paul Blouin, avec qui Guy Dufresne s’entendait très bien, fut d’ailleurs un grand succès. Il écrivit aussi des scénarios de films et des textes d’histoire.

Son dernier travail important fut la rédaction des dialogues du célèbre film Les Ordres, long métrage qui traite de la crise des mesures de guerre de 1970.6

Entrevues : Serge D’Amour, Madeleine Dufresne, Marthe Lanctot, Robert Leroux, Monique Miller, Michelle Roy-Tougas.

2  Guy Dufresne, Les Cahiers de la Nouvelle Compagnie Théâtrale, octobre 1971

 Madeleine Dufresne

4  Quand Frelighsburg est tombé dans les pommes, François Renaud, p. 30, 2012

5  Bibliographie de Guy Dufresne, Aurélien Boivin et Lucie Robert, file:///C :/Users/Jef/Desktop/Guy%20Dufresne/1983%20Bibliographie%20de%20Guy%20Dufresne%20200421ar.pdf

6  Guy Dufresne, dramaturgie québécoise et franco-canadienne http://www.cead.qc.ca/_cead_repertoire/id_document/1615