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Saint-Armand, printemps 1867 : les Féniens débarquent

Laurent Busseau*

«  L’épouvante fénienne » ou The Fenian Scare, est une réalité omniprésente dans les journaux canadiens de la seconde moitié du XIXe, particulièrement ceux de Montréal. Dès 1865, les correspondants canadiens suivaient les assemblées publiques de la fraternité irlandaise des Féniens aux États-Unis. Au lendemain des incursions qui eurent lieu du 7 au 10 juin 1866 dans le comté Missisquoi, les journaux québécois condamnèrent le soutien que les Américains apportèrent au mouvement nationaliste irlandais, lequel soutien tenait de l’opportunisme politique et était le fait tant des démocrates que des républicains.

L’épouvante fénienne est donc relayée par les journaux régionaux tels que The Waterloo Advertiser. En effet, au lendemain des incursions qui ont eu lieu de Saint-Armand à Dunham, la crainte du retour des Féniens reste toujours présente. Le 2 septembre 1866, l’évasion de six Féniens torontois du pénitencier militaire de Cornwall, en Ontario, réveille la crainte du sabotage et d’une nouvelle attaque irlandaise : « By a special telegram to The Montreal Herald dated Cornwall, September 2th, we learn that the Fenians prisonners, Murphy and five of his companions broke the jail and made their escape sometime before day light of this morning. »

En 1866 et 1867, au lendemain au lendemain du procès international et médiatique des Irlandais capturés à Eccles Hill et Saint-Armand en juin 1866, la peur s’intensifie. En décembre 1866, sous la protection de la milice locale et d’une trentaine de détectives de la police secrète canadienne, armés de carabines à répétition, seize prisonniers identifiés comme des membres de la fraternité fénienne sont jugés au palais de justice de Sweetsburg (Cowansville), selon une procédure extraordinaire déclenchée par le gouverneur général Lord Monck.

La condamnation, en 1867, à la pendaison de trois d’entre eux, dont Thomas Madden, qui en tant que sujet de la reine né en Irlande, est jugé pour haute trahison, inquiète profondément les habitants frontaliers du Vermont. Qu’il s’agisse d’information ou d’intox, un correspondant du Montreal Gazette affirme, au printemps 1867, avoir connaissance d’autres préparatifs militaires dans la région de Missisquoi, car les principaux généraux féniens seraient venus espionner à Saint-Armand.

The Waterloo Advertiser informait donc les habitants de la place que « A correspondant of The Montreal Gazette writes from Missisquoi to say that about 2 p.m. on Sunday last (first) five Fenians amongst whom were Generals Swenney, Spear and Mahon in two carriages, crossed The Province Line on the road from Franklin to Frelighsburg and stopped half an hour at Eccles a quarter of mille into St. Armand and the vicinity of their old camp ground. On their return they stopped at Franklin Centre and in conversation with some inhabitants of the place said of them had been in town of Dunham on Saturday and they would spend the 4th in Franklin and the 5th in St. Armand »

En réponse à cette angoisse légitime, Asa Westover et Andrew Ten Eyck de Dunham fondent, en 1868, la fameuse milice locale The Red Sashes (les écharpes rouges) qui, malgré les critiques des autorités militaires, confirmeront la réalité historique de cette Fenian Scare suite à la bataille d’Eccles Hill du 25 mai 1870, au cours de laquelle ils durent faire face aux soldats de l’Irish Republican Army (IRA) sur le chemin Eccles.

* Laurent Busseau, résident de Dunham, est historien et auteur du livre Les Féniens arrivent…, publié en 2016