Dernièrement, la poursuite lancée par le chroniqueur Richard Martineau à l’endroit du journal indépendant Ricochet a fait les manchettes. Et tout cela ne fait que commencer. Portrait de la situation.
Le Ricochet est un journal multiplateforme publié sur le Web et fondé en 2014. Structuré en OBNL, comme le journal Le Saint-Armand, ce journal revendique son indépendance et fait la promotion d’un journalisme qui ne se limite pas à la couverture immédiate des évènements. Par sa ligne éditoriale, franchement progressiste, il donne la parole à ceux et celles qui n’en ont pas, à travers des sujets complexes et originaux. Les billets d’opinion qui y sont publiés visent à susciter la réflexion et le débat, et non pas la polémique. Ricochet se décline en deux éditions indépendantes, francophone et anglophone, basées respectivement à Montréal et à Vancouver.
En décembre dernier, Richard Martineau, chroniqueur bien connu du Journal de Montréal et de Radio X ainsi que membre des Francs-tireurs, engageait des poursuites de 350 000$ contre Ricochet pour diffamation. On le devine, ces poursuites risquent d’entrainer la fermeture de la publication. On se demande toutefois ce qui a pu occasionner une telle action juridique. Certes, Ricochet venait de publier une satire mortuaire cinglante à propos de monsieur Martineau. Mais, on en conviendra, ainsi sont les satires ; elles ne font pas dans la dentelle. Visiblement offusqué, le demandeur y voit « une incitation à la haine en plus de constituer une atteinte intentionnelle à sa réputation, son honneur, sa dignité et son intégrité ».
Nombreux sont ceux qui connaissent la plume acérée de Richard Martineau. Admettons-le, il ne fait pas dans la dentelle lui non plus. C’est d’ailleurs pourquoi il s’est révélé un fervent défenseur de la liberté d’expression lors de l’attaque meurtrière contre le journal satirique Charlie Hebdo en novembre 2014. Pourtant, les avocats du chroniqueur affirment aujourd’hui qu’on aurait ici, dans cette fausse chronique nécrologique, dans cette fiction posthume satirique, « dépassé les limites de la liberté d’expression et du simple débat d’idées ».
Une chose entrainant l’autre, Ricochet a organisé une collecte de fonds et est parvenu, grâce à ses lecteurs, à récolter près de 50 000$ pour être représenté devant les tribunaux. Et, surtout, pour ne pas fermer boutique sans avoir la chance de se défendre dignement. Mais, de toute évidence, dans un cas comme celui-ci, le débat dépasse les principaux concernés car l’enjeu fondamental est bel et bien la liberté d’expression dans les démocraties occidentales.
Que penser de tout cela ? Que dire ? Quoi ne pas dire ? Comment fonctionnent les médias ? Quelle est la part de censure ou d’autocensure qui influe sur les gens de la profession ? Beaucoup de questions, des réponses en attente. Le procès entre Richard Martineau et le journal Ricochet concernera de près tous les médias indépendants du Québec. Car il ne s’agit pas simplement d’un cas de diffamation, mais plutôt d’une prise de position sur la pertinence de la satire dans l’espace public d’ici.
Pourtant, rappelons-le, l’humour et la satire sont des bons baromètres du développement d’une société. Dans le discours social, elles participent activement à l’exercice quotidien de la liberté d’expression. Et puis, on est en droit de se demander en quoi l’humour satirique qu’on retrouve dans le Ricochet serait plus répréhensible que celui qu’exprime quotidiennement Richard Martineau dans ses chroniques.
Il faudra suivre ce procès de près puisque son issue pourrait affecter tous les médias indépendants du Québec, dont notre journal…