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- Exodus -

L’exode avec un grand, un sombre E

Des jeunes parlent de leur exode vers la ville
Christian Guay-Poliquin

Loin d’ici. D’un côté la mer, de l’autre, les montagnes. Les Appalaches. Loin d’ici, loin de la ville, loin de tout sauf d’elle-même : la Gaspésie. Par un bel après-midi d’hiver, deux jeunes se décident à grimper une montagne. Grimper une montagne pour le plaisir de grimper une montagne, pour le plaisir d’être dehors, d’être dans le bois, pour le plaisir de découvrir, le plaisir d’être là, d’être en vie. Au sommet : d’un côté la mer, de l’autre, les montagnes. Ils marchent un peu. Soudain, alignées, petites pancartes blanches PRIVÉ-DOMTAR-PRIVATE. Une pancarte tous les trois arbres. Quelques pas plus loin, un grand champ, un grand champ de bataille. Encore debout : deux ou trois chétifs petits arbres. Coupe à blanc. Partout : d’énormes souches, des branches pêle-mêle, des arbres entiers couchés sur le flanc, partout : du gaspillage. Puis ils lèvent le regard. D’un coté la mer, de l’autre, les montagnes. Au nord le golf du Saint-Laurent s’étale, s’étend et ondule, au sud la forêt (ou ce qu’il en reste) frissonne, chancelle et attend. D’est en ouest : le soleil. Les deux jeunes hommes restent là, muets : chaque montagne, d’un horizon à l’autre, est, en son sommet, dévastée, rasée. Coupe à blanc. Des montagnes, des montagnes comme des crânes de soldats dans un charnier grandeur nature. PRIVÉ-DOMTAR-PRIVATE.

Maison à vendre. Maison à vendre. Maison à vendre. Gaspésie. L’exode, c’est ça. Le vrai. En Gaspésie, on ne part pas, on Part. Les jeunes surtout partent, mais partent amèrement. Comme s’ils fuyaient une dure réalité, une réalité enfouie sous les jours qui passent, une réalité comme une aiguille, profonde dans le cœur. L’espoir. Le tourisme ne rend pas l’espoir. Il n’est qu’encore plus âcre. Un peuple ne vit pas de photorama. L’avenir, en Gaspésie, est une question. Les jeunes s’en vont, les vieux se taisent. Maison à vendre. Maison à vendre. Maison à vendre.

Mais bien sûr quelques bons employeurs font de sains efforts pour pallier ce criant manque d’emplois. « Bûcherons et conducteurs de machinerie sylvicole recherchés ! » DOMTAR. C’est ça où rien. Travaille qui peut. Travaille qui peut à arracher les fleurs de son propre jardin, de son propre pays et à en faire, bien malgré lui, un pays déraciné. Ce qui fait vivre, ou survivre, économiquement cette région, cette belle et magnifique région, c’est en revanche ce qui la tue lentement concrètement, écologiquement, et systématiquement…

À des lieux de là-bas, loin de la mer et des montagnes, en ville, coin de Maisonneuve et Berri sur un gros bâtiment de béton, une gigantesque annonce publicitaire : « ON S’OCCUPE DE L’ENVIRONNEMENT. — DOMTAR – » Le Gaspésien exilé détourne les yeux, baisse la tête et avale sa salive.

Et, dans le « penthouse » d’un haut gratte-ciel, les autorités gouvernementales mettent un point d’interrogation au mot exode.

  • Il faudrait créer des emplois là-bas…
  • On coupera plus de bois.

Et une poignée de main.

  • Autre

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