Une fois de plus : le printemps. Les rivières ont regagné leurs lits, et mêlent leur roucoulement au chant de la nature en éveil. Puis tandis que de verts en verts se dessinent les silhouettes des arbres, on est là, témoins de ces merveilles, on est là et comme ça, on regarde, silencieux, les paysages changer de textures.
A l’orée d’une forêt de pins centenaires, il y a un lac. Le bleu du ciel dans le bleu de l’eau. Glissant tranquillement sur l’onde, deux canards se reposent. Comme ça, on les contemple, fondus dans le mouvement de leur immobilité. Puis doucement, comme ça, tout comme la quiétude s’était lovée en nous, notre pensée se promène, s’active puis nous mène à réfléchir, comme ça, librement. Sans trop savoir.
Comment ça ?
Puis, plus on observe le, les paysages, plus on porte attention aux choses. Et plus on prend conscience de nos perceptions et de ce qui les entoure ; plus on se pose des questions. Car qui regarde : voit.
On aborde des sujets sans ne rien y savoir d’autre que la question qu’on y pose. On est là, on regarde, on réfléchit, puis on se questionne en toute naïveté, en toute honnêteté. On est là au même titre que toute chose : comme ça.
On nous parle de Pigeon Hill comme d’un ancien village prospère. Voie ferrée, stations d’essence, détaillant John Deere, etc. On sait bien que tout cela s’est tu par la force des choses, mais savons-nous vraiment ce qui s’est passé ? Et les jeunes s’en doutent-ils seulement ?
Avant, près de Pigeon Hill, il y avait deux petites écoles (chemins William et Morses Lines), une autre aussi un peu plus loin, à Philipsburg. Aujourd’hui toutes fermées au faible profit de celle de Saint-Armand où, d’une année à l’autre, certains niveaux doivent être jumelés pour remplir une salle de classe.
La machinerie agricole est de plus en plus performante. La technologie s’aiguise. Les temps changent. Au grand bonheur de certains, au désappointement d’autres, peu importe, mais une terre faisant vivre une famille en faisait vivre quatre autrefois.
Et les jeunes, aussi peu soient-ils, et bien, on nous rebat toujours les oreilles avec ça, ils s’en vont. Serait-ce qu’ils ne trouvent plus comment, qu’ils ne peuvent plus prendre place dans la région qui les a vu naître ?
Et pourquoi, et pourquoi donc, la nuit, au nord-est, de plus en plus d’étoiles disparaissent sous un voile orangé ?
Dans les champs, dans les éclaircies, de tous bords tous côtés, en arrière de chaque arbre, de chaque épi, se cache un plant de pot. Serait-ce notre société qui en a plus besoin que jamais ?
L’observatoire d’oiseaux de Philipsburg a fermé ses portes il y a quelques années, à cause de l’irrespect de certains visiteurs. Et l’on s’étonne encore des déchets sur le bord des routes ?
Les agriculteurs travaillent fort. Fruits, légumes, céréales. Puis tout ça est embarqué dans de gros camions et est vendu ailleurs alors que de gros camions nous apportent des produits d’ailleurs qui nous sont vendus par le biais de nos chères épiceries, pas si bon marché que ça.
Et pourquoi, un certain soir d’il y a longtemps, de gros camions sont venus de loin jusque dans le coin pour enfouir du stock là où, plusieurs années après, le gazon arrive à peine à repousser ?
Et tandis que plus personne n’ose tremper le pied dans l’eau du lac Champlain, on se demande, question insondable mais bien réelle, comment-ça qu’on est rendu là ? Là où ? Ici, comme ça.
Comme ça
On ouvre les yeux, mais ils étaient déjà ouverts. La forêt, le lac, les canards. À notre insu tant de questions prennent forme en nous. Ouvrir les yeux, comme ça, à tout ce qui est devant et tout ce qui est dedans. Car à notre insu nous sommes debout devant tout ce qui s’est passé et tout ce qui se passe à notre insu.
Puis les questions cessent doucement, comme elles ont commencé. L’air est frais. C’est le printemps. On fait quelques pas vers l’étang. Puis on fige. Ouvrir les yeux. Ouvrir les yeux. Ouvrir les yeux. On sait bien qu’il ne s’agit pas que de ça. Les canards. Les canards sont des canards de plastique.
Comment ça que c’est comme ça ? Et les questions repartent de plus belle.