Photo : Jean-Pierre Fourez
Dans un numéro précédent, nous avions publié un article sur les agriculteurs et agricultrices de Saint-Armand (essentiellement producteurs de maïs et producteurs laitiers). Nous vous avions promis des reportages sur d’autres types d’exploitation agricole. Nous commençons par l’élevage des chevaux. Suivront des entrevues avec un éleveur de wapitis, un acériculteur, un vigneron et d’autres, au gré des saisons.
Un peu d’histoire
Au bout du chemin Bradley, collé à la frontière américaine, le Ranch « L » (« L » pour Litjens) étale ses vertes prairies où s’ébattent de superbes étalons et des juments allaitant leurs nouveau-nés : 85 hectares dont 50 pour le foin et 25 pour le pâturage. Il y a de quoi s’émerveiller car ces chevaux sont les fleurons de la race canadienne.
John Litjens était producteur laitier comme son père, immigrant hollandais de la fin des années 40dont il a racheté l’exploitation en 1967.
En 1975, un incendie ravage la ferme. Il faut repartir à zéro. Après quelques essais dans les bovins de boucherie, John et son épouse Colette s’orientent alors vers l’élevage du cheval, et leur ranch devient un haut lieu de la race canadienne connue dans toute l’Amérique du Nord.
Le malheur frappe à nouveau quand John décède subitement en 2001. Colette, avec l’aide de son fils Normand, prend vaillamment la suite des opérations.
Quelques mots sur la race canadienne
En 1647, le premier cheval est importé en Nouvelle-France. De 1665 à 1671, Louis XIV procède à quatre envois de chevaux pour la colonie. Ces premiers sujets, vu les besoins grandissants, se multiplient en conservant leurs caractères d’origine. Si bien qu’en 1885, des personnes soucieuses de préserver la race chevaline canadienne prennent l’initiative d’ouvrir un livre généalogique et, depuis 1895, ce livre officialise la race canadienne avec tous ses critères de taille, de poids, de couleur et d’aptitudes.
Les chevaux canadiens sont reconnus pour leurs dispositions. Ils sont forts, sensibles, intelligents et exigent peu d’entretien. De plus, ils sont excellents dans toutes les disciplines telles que le dressage, le saut, la chasse à courre, les attelages et le travail à la ferme. Leur longévité est de 25 ans environ.
En raison de son passé et de ses qualités, le cheval canadien a été reconnu cheval national du Canada en 2002. Il fait partie du patrimoine québécois depuis 1999.
Élevage et reproduction
Les huit étalons du Ranch « L » sont reconnus pour leur lignée rare et leur exceptionnelle qualité. Les accouplements se font par saillie naturelle et les mises bas se font à l’extérieur entre avril et juillet sous un abri aménagé près de la maison, ce qui permet de surveiller les poulinières (parfois 24 h sur 24 durant une semaine !).
Colette devient intarissable lorsqu’il s’agit de ses protégés, et c’est cet amour des chevaux qui lui donne l’énergie de tous les instants nécessaire à la vie du Ranch.
Il faut dire qu’un élevage de cette taille n’est pas de tout repos. Le nombre de chevaux du Ranch « L » en fait le deuxième en importance au Canada pour la race canadienne.
En effet, en plus de 8 étalons actifs et de 2 en attente, il y a actuellement 30 juments gestantes, ce qui veut dire 30 poulains pour cette année. (Sachez que la gestation est de 11 mois.). L’ouvrage est énorme. Imaginez : les soins quotidiens aux chevaux depuis l’hygiène de l’écurie jusqu’aux soins « infirmiers », l’entraînement, les sorties, l’entretien du matériel d’harnachement, la reproduction des sujets de la ferme et ceux de la clientèle extérieure, la mise bas des poulains, la surveillance constante de la santé de chacun. Il y a aussi la culture du foin qui est pour l’hiver l’essentiel de leur nourriture avec la luzerne, le mil et le trèfle. Il faut assurer au moins une balle de 40 livres de foin par jour par animal. L’été, les chevaux sont le plus possible à l’extérieur et « broutent vert ».
Tout cela, c’est la partie domestique des tâches. Car il y a le volet concours et compétitions qui est le portail du commerce des chevaux. La logique est la suivante : pour vendre, il faut être connu puis reconnu parmi les meilleurs et, pour produire l’excellence, il faut être disponible 24 h sur 24, 7 jours par semaine. Le succès est le résultat direct des efforts. Comme dit Normand : « On peut en vivre, certes, mais le secret, c’est travail, travail, travail ! » Colette tient à nommer et remercier les aides précieuses qu’elle reçoit bénévolement de sa famille et de ses proches pour les travaux et les expositions, entre autres Gaël Le Fustec, amie de Normand, instructrice diplômée de l’école de La Pocatière, qui donne des cours d’équitation, de l’entraînement, du dressage et participe à des compétitions, et Réjean Malo, fidèle assistant qui assure la partie entretien du matériel et de la mécanique.
Normand a pris la relève de son père John. Il est juge pour les concours de conformation et directeur du SECC pour le Canada (Société des éleveurs de chevaux canadiens).
Le commerce des chevaux
Les acheteurs de tous horizons (Québec, Ontario, Ouest canadien et États-Unis) aiment la race canadienne pour sa polyvalence.
Les prix ? Comptez 1000 $ pour un cheval que vous dresserez vous-même. C’est le prix de départ. Une jument poulinière ? Environ 5000 $. Un accouplement avec votre jument ? Comptez 600 $. Mais si vous voulez un cheval « clé en main » dressé pour la compétition, vous le négocierez aux environs de 10000 $. Par contre, les voir gambader et admirer en ce moment les poulains batifolant près de leur mère, c’est gratuit. Le marché commence à être valable, la demande est en hausse actuellement, surtout aux Etats-Unis où il n’y a pas de surtaxe comme pour le bœuf.
L’avenir
À la fois prometteur et difficile. La concurrence est féroce car le marché est étroit. La réputation, donc la publicité, se fait entre autres par les compétitions et les expositions auxquelles participe le Ranch « L ». Depuis plusieurs années, leurs juments remportent récompenses sur récompenses, et les étalons s’approchent peu à peu du sommet.
Il n’y a pas que les chevaux qui soient polyvalents. Colette et Normand Litjens savent passer de la fourche à fumier au clavier d’ordinateur. En effet, l’informatique est un outil essentiel autant pour la surveillance du marché et la gestion des affaires que pour l’enregistrement au Livre de la généalogie où sont fichés les 3000 individus que compte la race canadienne avec leur pedigree.
La 3e génération Litjens a repris le flambeau et vise l’excellence. Alors bonne chance et surtout bon courage !
DERNIÈRE HEURE
Ranch « L » Bienvenue Geronimo, cheval castré né en 1997, fait partie du spectacle équestre CAVALIA, dans lequel il exécute des jeux de voltige.