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Projet industriel à Saint-Armand

un conseil municipal réticent
Guy Paquin

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’attitude du Conseil municipal actuel de Saint-Armand quant au projet de développement industriel du pôle de Bedford tranche considérablement avec celle qu’affichait le Conseil précédent il y a deux ans. Alors que, à l’automne 2016, les membres qui composaient ce dernier y étaient en majorité nettement favorables, ceux de la présente administration font preuve d’une résistance coriace.

Soulignons que le Conseil précédent avait voté et consacré aux études préliminaires sur le projet une enveloppe de 4 556 $ le 16 mai 2016, signe, on peut le supposer, de son intérêt pour la chose. Depuis, pas un sou. Le Conseil actuel a demandé une réunion d’information avec le responsable du projet, M. Francis Dorion, réunion dont la date n’est pas encore déterminée. Hormis cela, rien.

Nous avons tenté de rencontrer le maire de Saint-Armand, M. Brent Chamberlin, qui n’a pas retourné notre appel. À ce jour, nulle discussion n’a eu lieu en Conseil sur cette question. Dans cet article, nous chercherons donc à comprendre comment ce projet s’est enlisé, du moins à Saint-Armand

Mais rappelons d’abord, dans ses grandes lignes, en quoi il consiste.

Le projet

 Désireuse de revitaliser Bedford et les municipalités environnantes, la MRC Brome-Missisquoi a proposé d’établir un parc industriel dans le Canton de Bedford dans le but d’accueillir des entreprises œuvrant dans la transformation du calcaire issu de nos carrières. Le fait de rapprocher les transformateurs des carrières permet de diminuer les frais de transport, de faciliter les communications entre entreprises et, bien sûr, de créer des emplois dans la région.

Il s’agissait aussi d’implanter à Saint-Armand un centre de transport et de logistique pour desservir la grappe des entreprises extrayant et transformant le calcaire des carrières.

Le projet devait recevoir l’appui politique et financier des huit municipalités visées, soit la Ville de Bedford, le Canton de Bedford, Stanbridge-Station, Saint-Armand, Notre-Dame-de-Stanbridge, Saint-Ignace-de-Stanbridge, Stanbridge East et Pike River.

Selon une étude réalisée par la firme LGP, le nombre total d’emplois (pôles de Bedford et de Saint-Armand réunis) générés varierait de 950 à 1 400. Il faudrait que les huit municipalités versent environ huit millions de dollars pour acquérir et aménager les terrains désignés. Et, dans le cas de Saint-Armand, la municipalité commencerait à engranger des bénéfices nets six à dix ans après le début du projet.

En juin 2016, LGP recevait ce mandat des huit municipalités, alors toujours unanimes. Mais depuis, il y a du sable dans les engrenages. Par exemple, Stanbridge East s’est entièrement désengagée. Dès le 17 avril 2017, son Conseil municipal se divisait sur le financement du projet : trois conseillers souhaitaient qu’on vote l’attribution d’une somme de 3 544 $ pour la continuation du travail exploratoire et trois autres refusaient. Le maire Greg Vaughan a tranché, utilisant son veto pour se rallier à ceux qui rejetaient la participation financière.

Et dans le cas de Saint-Armand, il y eut…

 …l’étonnante réunion au sommet

 L’avant-midi du dimanche 18 décembre 2016, Mme Ginette Messier, alors conseillère municipale de Saint-Armand, et son conjoint, M. Denis Messier, recevaient à leur domicile la majorité des membres du Conseil municipal. Il y avait là le maire d’alors, Réal Pelletier, la conseillère Marielle Cartier, le conseiller Richard Désourdy et bien sûr, Mme Messier elle-même. Outre ces personnes, le fils de Mme Messier, Philippe, prenait part à la réunion.

Les conseillers Galipeau, Daraîche et Boucher n’y étaient pas, le premier pour des raisons inconnues de nous, les deux autres tout simplement parce qu’on ne les avait pas invités, eux qui s’étaient montrés de fervents défenseurs du projet de parc industriel.

Brunch dominical entre amis ? Pas vraiment. Mme Cartier nous raconte : « Le sujet de la conversation était le projet de développement industriel à Saint-Armand. Philippe Messier a beaucoup parlé et il partageait l’avis du couple Messier. Ils étaient tous trois contre. On disait que ça coûterait trop cher, que ça ne créerait pas les emplois espérés etc. M. Désourdy abondait dans leur sens. »

On a bien sûr le droit de recevoir qui on veut et de discuter de ce qu’on veut. Mais quand on réunit quatre membres du Conseil municipal pour discuter d’un projet dans lequel quelque 461 000 $ de nos dollars seraient engagés rien que pour l’achat des terrains (selon l’évaluation faite par la firme LGP), on peut dire que la réunion est bel et bien politique et qu’elle est d’intérêt public.

Comment connaissons-nous la date et l’heure de cette réunion informelle au sommet ? Parce que Mme Cartier s’en souvient comme si c’était hier ? Pas du tout. Nous l’avons su d’une manière aussi surprenante que la réunion elle-même et qui vaut d’être contée. Il entre dans cette nouvelle péripétie des éléments tels que le hasard, les intempéries et la technologie.

René Daraîche qui, outre sa fonction de conseiller, était (et est toujours) pompier volontaire, raconte : « La veille, il avait venté pas mal et le matin j’ai reçu un appel de premier répondant. Une branche était tombée sur un fil électrique et il fallait sécuriser l’endroit. Donc on m’appelle pour que je me rende sur les lieux, au 1117, route 133. »

Le hasard veut que ça se trouve juste en face de chez Monsieur et Madame Messier. « J’arrive et je sécurise les lieux, puis j’appelle Hydro-Québec pour une intervention d’urgence. En les attendant, je remarque qu’il y a beaucoup de véhicules stationnés chez les Messier. Je n’y fais pas plus attention que ça. Un brunch dominical, quoi de plus banal. Puis, Hydro arrive et je peux rentrer au poste et inscrire mon intervention dans le fichier central informatique : nature de l’appel, lieu, date et heure. »

M.Daraîche rentre ensuite chez lui. Arrive alors… Mme Cartier, qui sort de la réunion au sommet. « J’étais très désemparée, confie-t-elle, et je voulais en parler au conseiller Daraîche. » En recoupant la venue de Mme Cartier au sortir de la réunion et l’intervention du pompier, on obtient la date et l’heure de la réunion.

Comment ? Simple. Si la mémoire de la date fait défaut à Marielle Cartier, le fichier central informatique, lui, se souvient infailliblement du moment et du lieu de l’intervention du pompier : dimanche le 18 décembre 2016 à 11 heures au 1117, route 133.

Quel a été l’impact de cette réunion ? Mme Cartier reconnaît que son enthousiasme pour le parc industriel de Saint-Armand s’est alors quelque peu émoussé. Quant à M. Désourdy et à Mme Messier, c’est la première fois, à ce qu’on sache, qu’ils ont fait valoir devant les membres du Conseil leur opposition au projet.

Et Réal Pelletier, alors maire ? « Trois mois après cette réunion, se souvient M. Daraîche, j’ai rencontré Réal et son soutien au projet était absolument intact. »

Ce n’est certainement pas le cas de l’administration actuelle. Et l’influence de Mme Messier n’y est pas étrangère. Sa présence auprès de certains candidats le soir du dépôt de leur candidature atteste de son intérêt continu pour les activités du Conseil. En outre, des sources qu’elle aurait recruté et tenté d’influencer certains d’entre eux lors de la campagne électorale municipale de l’automne dernier. Quoi qu’il en soit, c’est le droit le plus absolu de Mme Messier de s’impliquer comme citoyenne dans la vie électorale. Mais c’est aussi d’intérêt public, surtout quand on connait sa farouche opposition au projet de parc industriel.

Un projet sans valeur ?

 Si les détracteurs du projet affirment qu’il est ruineux, ce dernier jouit par contre de l’appui des maires de cinq municipalités, soit celles de la Ville de Bedford, du Canton de Bedford, de Stanbridge-Station, de Saint-Ignace-de-Stanbridge et de Notre-Dame-de-Stanbridge. Le maire de cette dernière municipalité, Daniel Tétreault, donne la raison de cet appui : « Il y a le potentiel de 1 500 emplois dans le pôle Bedford. Nous y voyons une bonne possibilité qu’une quinzaine de familles s’établissent chez nous. C’est amplement suffisant pour couvrir notre investissement. »

Albert Santerre, maire de Saint-Ignace, donne aussi ses raisons : « Il faut voir à long terme. Bedford se meurt. Si on perd notre ville de services, toute la région souffrira. Au contraire, si Bedford se renforce, toute la région le fait aussi. »

Jean Thibodeau, directeur de l’usine Omya de Saint-Armand, l’appuie aussi et certainement pas pour des motifs politiques. « Si on rapproche de nous les entreprises qui nous achètent nos produits pour les transformer, cela crée des économies et des synergies importantes. Et un centre de transport et de logistique à Saint-Armand a bien du sens. La logistique et le transport entrainent des coûts importants. Un centre de transport et de logistique pour la grappe locale de mise en valeur du calcaire est une idée raisonnable du point de vue affaires. »

Reste à voir ce que sera le point de vue du Conseil municipal de Saint-Armand.

Note de la rédaction

En octobre 2017, quelques semaines avant les élections municipales, nous avons publié un reportage sur ce projet de parc industriel intermunicipal et, à cette occasion, nous avions interviewé les candidats qui avaient annoncé leur candidature aux élections.

Caroline Rosetti, aujourd’hui conseillère au siège numéro 4, souhaitait alors « qu’une assemblée publique soit organisée rapidement afin que les citoyens puissent être informés de manière complète et objective ». Louis Hauteclocque, aujourd’hui conseiller au siège numéro 5, affirmait dans nos pages : « Il faut convoquer les responsables de ce projet de parc industriel et les inviter à venir expliquer clairement aux citoyens quels sont les tenants et aboutissants de cette démarche… Une fois que nous aurons toute l’information, je suis d’avis que la communauté de Saint-Armand devrait se prononcer par référendum sur la pertinence de ce projet. » Dany Duchesneau, qui occupe aujourd’hui le siège numéro 6, nous confiait : « Je suis d’avis qu’il nous faut recueillir un maximum d’informations, les partager ouvertement avec nos concitoyens et écouter attentivement leur opinion, qu’elle soit favorable ou non au projet. Une fois que nous aurons fait cette démarche, le Conseil pourra prendre une décision éclairée qui reflétera l’opinion de la collectivité. » Quant aux quatre autres membres du Conseil actuel, nous n’avions pas pu leur demander leur opinion puisque, au moment de publier, ils n’avaient pas encore annoncé leur candidature.

La rédaction du journal Le Saint-Armand invite donc les élus à procéder avec transparence et diligence en organisant rapidement une séance d’information publique et une consultation des citoyens à ce sujet. Rappelons que cinq municipalités ont déjà créé un organisme à but non lucratif chargé de démarrer le projet du côté de Bedford. Souhaitons-nous vraiment que la partie du projet qui était prévue pour Saint-Armand soit oblitérée ?