Photo : Ministère des transports du Québec
Le 4 décembre dernier, la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) s’est fait servir un sérieux rappel à l’ordre relativement à son rôle d’arbitre impartial dans les conflits qui sont portés à son attention. Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a fait ce rappel à l’ordre dans son jugement concernant l’échangeur de Saint-Alexandre du tronçon de la route 35 actuellement en construction.
Le jugement du TAQ estime que la CPTAQ a fait une « erreur déterminante » en droit en ne tenant nullement compte de l’avis d’un urbaniste, M. André Brodeur. Ce dernier, dans son avis écrit déposé devant la CPTAQ, avait estimé que le positionnement de l’échangeur tout près du noyau du village aurait un impact revitalisant important pour Saint-Alexandre. L’avis de M. Brodeur avait été demandé
Le conseil municipal de cette municipalité voyait les choses exactement de la même manière que l’urbaniste. En plaçant l’échangeur plus proche du noyau du village, on espérait attirer davantage de clients dans les commerces et ajouter de l’espace au parc industriel. De l’avis de d’un urbaniste conseil, l’ajout d’espace supplémentaire au parc industriel permettrait l’implantation de deux ou trois nouvelles PME qui créeraient plus de cinquante nouveaux emplois.
M.Brodeur et le conseil municipal soutenaient que l’occasion de faire ce bond en avant ne se reproduirait pas de sitôt. Chance unique pour Saint-Alexandre, donc. En utilisant les critères du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), l’étude Brodeur montrait qu’une partie importante des citoyens de Saint-Alexandre vivaient en situation « fortement défavorisée ». De plus, la municipalité avait vu une diminution de sa population entre 1996 et 2006. Cinquante nouveaux emplois, concluaient l’urbaniste et le conseil municipal, valent bien la perte de 14 hectares de terres agricoles.
Où placer l’échangeur ?
Toute l’affaire commence sur un choix à faire quant à l’emplacement de l’échangeur Saint-Alexandre, dans le cadre du prolongement de l’autoroute 35. Deux options existaient, lyriquement baptisées 2b et 2c. En gros, l’une, 2c, est plus proche du noyau du village que 2b. L’emplacement 2c convient donc mieux au projet de revitalisation que 2b.
Le hic c’est que 2c gruge 14,1 hectares d’excellentes terres agricoles contre seulement 8 pour 2b. On voit ici le dilemme dans toute sa nudité : d’un côté la perte de belles et bonnes terres agricoles ; de l’autre, la chance unique de se remettre sur l’autoroute de la prospérité (pardonnez-la, elle me démangeait).
Face à ce choix déchirant, les partisans du maintien maximal de zonage agricole et ceux de la revitalisation de la municipalité ont saisi la CPTAQ. Cette dernière a entendu les deux parties mais, selon le Tribunal administratif du Québec, nettement l’une plus que l’autre.
Le conseil municipal voulait que la CPTAQ lui reconnaisse des droits acquis sur 10,8 ha de terres agricoles et le droit de transférer ces 10,8 ha à Transport Québec pour construire l’échangeur à son goût, 2c. Or la CPTAQ a rejeté ces deux demandes.
La Commission constate que le projet d’échangeur 2c résulte en une perte importante de superficie de sol cultivé et en redécoupage de parcelles, ce qu’un témoin agriculteur local a appelé devant la Commission des « racoins », terme qui dit tout. Terres coupées en deux, parcelles géométriquement rébarbatives à la machinerie agricole, etc.
Dans son jugement rendu le 8 juin 2012, la CPTAQ « évalue que les impacts négatifs… sur la protection du territoire… agricole… sont tels qu’il est préférable de maintenir… » … le statu quo, c’est-à-dire le projet d’échangeur 2b, moins gourmand que l’autre en sol cultivé. Quant à l’argument du développement économique et de la revitalisation, la CPTAQ écrit que c’est un discours purement politique de la part de l’un ou l’autre des conseillers municipaux. Elle n’en tient donc pas compte.
Organisme d’équilibre et d’arbitrage
Or, selon le Tribunal administratif du Québec, c’est ici que la CPTAQ a erré sérieusement. Le rôle de la CPTAQ est défini par une loi, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA). Selon le Tribunal administratif, plusieurs précédents ont permis de définir clairement devant des cours d’appel que la loi de la CPTAQ, la LPTAA, est une loi d’équilibre.
Pour le TAQ, le rôle de la CPTAQ est de soupeser le poids des effets négatifs d’une initiative sur l’activité agricole. Mais la CPTAQ doit aussi tenir compte des effets positifs de cette même initiative sur le développement économique des communautés. Ce qu’elle n’aurait pas fait dans le cas de l’échangeur de Saint-Alexandre. Le TAQ rectifie cette erreur en retenant le projet d’échangeur revitalisant, le 2c.
Au-delà de la question de savoir si 2c vaut 2b, deux choses demeurent. La première, c’est que la protection du territoire agricole n’est pas un absolu. Certes, le sol cultivé doit être férocement protégé contre toutes sortes d’empiètements visant l’enrichissement personnel et n’ayant pour motivation que la cupidité de celui-ci ou celui-là. Mais le bien commun doit aussi être soupesé comme un enjeu légitime.
La seconde, bien plus armandoise, c’est que la 35 s’en vient. Les activités d’expropriations (ou « d’acquisitions », comme on dit sur Grande-Allée) sont actuellement en cours dans notre coin de pays, comme le confirme Benoît Lachance, porte-parole de Transport Québec. En mars ou avril, le ministre annoncera l’échéancier final pour la construction du tronçon qui nous concerne. Occasion de vérifier si la version finale du projet sert bien les intérêts du plus grand nombre.
Note de la rédaction
Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que le ministre des Transports du Québec, Sylvain Gaudreault, vient d’entrer dans une grande colère après avoir découvert que le gouvernement Charest avait annoncé des projets routiers pour lesquels aucun budget n’était prévu. Le prolongement de la 35 en fait partie. En conséquence, il n’est pas impossible que la suite des travaux soit reportée à plus tard…
Laisser un commentaire
Nous n’acceptons pas les commentaires anonymes et vous devez fournir une adresse de courriel valide pour publier un commentaire. Afin d’assumer notre responsabilité en tant qu’éditeurs, tous les commentaires sont modérés avant publication afin de nous assurer du respect de la nétiquette et ne pas laisser libre cours aux trolls. Cela pourrait donc prendre un certain temps avant que votre commentaire soit publié sur le site.