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Nouvelles du front (3)

Christian Guay-Poliquin

Il n’y a plus de ligne de front. La grève étudiante est terminée. Tout le monde est de retour en classe. Mais certains échos suscités par ce qu’on a appelé le printemps érable résonnent encore entre les murs des médias québécois. C’est l’heure des bilans. On cherche à faire le point, à peser les gains et les pertes, à comprendre ce qui s’est passé. Le Département de sociologie de l’Université Laval offrira même, à l’automne, un séminaire sur ce mouvement étudiant qui a secoué le Québec.

Mais qu’est-ce qui s’est passé au juste ? S’en souvient-on ? Ou plutôt, nos esprits oublieux constamment gavés de nouveautés garderont-ils en mémoire ce qui a monopolisé l’attention du Québec pendant ce « long » printemps et ce « court » été 2012 ?

Petit rappel. En mars 2011, le ministre des Finances du Parti  libéral du Québec annonce une hausse des droits de scolarité de 75 %. Ayant clairement fait savoir leur position, les associations entament, à l’automne 2011, leur campagne contre la hausse. La mobilisation commence officiellement au mois de février suivant, lorsque les premières associations facultaires votent en faveur d’une grève générale illimitée. Après, tout le monde connaît la suite. Les manifestations. Les arrestations. Le silence du gouvernement Charest. Le clivage entre les rouges et les verts. L’étrange apparition des carrés blancs, jaunes ou noirs. Le salon du Plan Nord.  Le projet de loi 78 devenu la loi 12. Victoriaville. Les 22 de chaque mois. Et cetera, et cetera. Puis soudainement l’été. Et plus rien, ou à peu près. C’était prévisible. Tout comme le déclenchement des élections, au début du mois d’août. Mais curieusement, ce mouvement étudiant, ayant dégénéré, diront certains, ou évolué, diront d’autres, en une crise sociale dont la mobilisation populaire fut inédite dans l’histoire du Québec, n’a guère été abordé durant la campagne électorale. Comme si ce qui avait poussé le gouvernement sortant au pied du mur n’était dès lors qu’une peccadille, un souvenir déjà voué à l’oubli, un élément clé évacué des discours dominants.

L’élection houleuse de Pauline Marois a toutefois permis un certain retour sur les événements du printemps dernier ou, du moins, une certaine attention médiatique aux échos qui persistent encore. À commencer par les dérives, bien sûr. Et les propos haineux proférés par ces militaires de Val-cartier qui nous rappellent que certains préféreront toujours avancer en regardant dans le rétroviseur. Et le Service de police de la Ville de Montréal qui admet, malgré un nombre d’arrestations record, n’avoir jamais rencontré autant de résistance. Et l’élection de Léo Bureau-Blouin qui, comme bien d’autres avant lui, traverse la mince frontière qui existe entre les fédérations étudiantes (et non les associations étudiantes) et le monde politique. Et ceux qui applaudissent l’annulation de la hausse des frais de scolarité au profit de l’indexation de ces derniers. Même si cette indexation, rap-pelons-le, témoigne de la soumission, dès lors admise sans gêne aucune, de l’ensemble des sphères de notre société à la logique spéculative et à l’économie de marché.

Enfin, on peut quand même dire que le pire à été évité. Je pense ici non seulement à la révocation de la hausse des droits de scolarité, mais surtout au décret du gouvernement péquiste visant à abroger la loi 12. Malgré tout, une impression persiste. On accusera encore et toujours les étudiants de ne pas faire leur « juste part ». Et si l’annulation de la hausse des frais de scolarité n’exclut pas les bonifications annoncées par le gouvernement Charest, certains lèvent la voix en traitant les étudiants de profiteurs, d’enfants gâtés et de rêveurs. Comme si l’éducation publique, et plus particulièrement ce que certains appellent vulgairement (et en toute ignorance) les « sciences molles », était perçue comme une injustice aux yeux des contribuables. Comme si les étudiants n’allaient jamais se lever des bancs d’école autrement que pour manifester…

À côté de tous les bilans que l’on dresse, maintenant qu’un gouvernement péquiste minoritaire est au pouvoir, rappelons simplement que l’incertain souvenir collectif que nous avons du printemps 2012 a été forgé par des médias qui s’attardaient davantage aux dérives et aux caricatures du mouvement étudiant qu’aux questionnements de fond qu’il soulevait. Et qui restent à ce jour sans réponse, à deux pas des bacs verts.

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