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Lettre bitumineuse – deuxième partie

Photo : www.greenpeace.org

Toujours dans le nord-est albertain, pour le même employeur, contremaître pour l’entretien de cette grosse bibitte qu’est la raffinerie Horizon. Les jours allongent malgré tout et, cet hiver, le froid semble ne pas avoir trop d’emprise. Malgré un -51 degrés en décembre, j’ai plutôt de la chance, les températures étant relativement clémentes lors de mes turnarounds.

Entre 570 et 240 millions d’années avant notre ère, l’Alberta était un paradis tropical, enseveli à plusieurs reprises sous l’océan Pacifique, milieu fertile en organismes marins de toutes sortes. Ces plantes et animaux se déposant et se décomposant dans le fond de la mer, comprimés à une forte intensité et à la chaleur, sont devenus ce qu’on appelle des solides, liquides et gazeux, connus aussi comme gaz fossile, charbon, bitume, pétrole brut et gaz naturel. Aujourd’hui on leur donne le nom d’énergie fossile.

Les anthropologues s’accordent pour dire que les premiers habitants de cette région sont arrivés il y a environ 12 000 ans par le détroit de Béring, passage alors praticable durant les périodes de grandes glaciations. Ces peuplades subsistaient grâce aux terres fertiles et giboyeuses de cet immense territoire. Plus récemment, on raconte que les Amérindiens naviguaient sur les rivières Clearwater et Athabasca et pouvaient voir des dépôts de bitume sur les berges. Ils mélangeaient cet étrange goudron sorti de terre avec de la résine d’épinette afin d’étanchéifier leurs embarcations, isoler leurs habitations, soigner leurs blessures, en faire des ornements sur le corps ainsi que pratiquer certaines formes d’art.

Selon le Canadian Petroleum Discovery Center, en 1780, les Blancs découvrent le pétrole pour la première fois dans l’Ouest canadien. Ils travaillaient en majorité pour la Compagnie de la Baie d’Hudson ou pour la North West Company. Parmi eux, l’explorateur Alexander Mackenzie, qui fut le premier à transcrire ses observations sur les fameuses fontaines de bitume de la rivière Athabasca. Il y aurait décrit le phénomène « as a pool into which a pole of twenty feet long may be inserted without the least resistance ». Vers la fin du 18e siècle ou au début du 19e,  les Français comme les Anglais établiront de nombreux postes de traite de la fourrure sur le territoire albertain. Tandis que, dans l’est du pays, on échangeait la fourrure contre des miroirs, ici on l’échangeait contre un dérivé du pétrole, substance plus « écologique » qui remplaçait les huiles nauséabondes et sulfureuses de baleine, de poisson ou de végétaux, nécessaires à l’approvisionnement des lampes à l’huile.

Durant les décennies qui suivent, une multitude de chercheurs et de géologues fouillent le sol à la découverte de gisements. En 1868, la Compagnie de la baie d’Hudson vend ses droits sur le territoire au Dominion du Canada. Le train du Canadian Pacific roulant vers l’ouest est complété en 1883. Tout le long de son parcours, on creuse des trous afin de puiser l’eau nécessaire à la vapeur des locomotives. À l’ouest de Medicine Hat, des foreurs à la recherche d’une source aqueuse creusent par inadvertance ce qui deviendra le premier puits de gaz naturel au pays. En 1888, on assiste à la dernière grande migration de bisons, alors que prospecteurs et aventuriers de toutes sortes initient ce qu’il est convenu d’appeler le premier vrai boom de prospection pétrolière. En 1905, l’Alberta devient une province.

Suivra une succession de forages et de prospections ; pipe-lines, gazoducs et raffineries sont construits. En seulement quelques mois, plus de 500 compagnies sont créées dans la région de Calgary, toutes avides des profits générés par le pétrole.

Les deux grandes guerres ne sont pas étrangères au développement de l’industrie pétrolière albertaine, alors qu’une demande croissante se justifie par l’effort de guerre. Au Québec, la presque défunte raffinerie Shell de Montréal-est a été construite en 1940 justement pour subvenir aux besoins pétroliers des alliés. Le rouleau compresseur de l’industrialisation accentuera davantage le besoin en pétrole.

De mémoire, une des rares affirmations intelligentes de W. Bush qu’il m’ait été donné d’entendre durant sa présidence était la suivante : « America is addictive to oil » ; pour une fois, il avait entièrement raison. La guerre qu’il a menée en Irak sous le couvert du démantèlement d’armes de destruction massive fut en grande partie motivée par le souci d’assurer à son pays l’approvisionnement en or noir et d’aider les pétrolières, principaux bailleurs de fonds des Républicains.

Le premier ministre canadien, on le sait, est intimement lié aux sables bitumineux albertains. Sa politique environnementale sur le sujet est décriée de toutes parts. Mais il faut bien l’admettre, de larges pans de l’économie du pays dépendent de cette ressource lucrative. J’en suis moi-même un bon exemple ; travailleur spécialisé, transporté, logé, nourri aux frais de CNRL, une compagnie cotée en bourse (CNQ) qui a déclaré des profits de 10 milliards de dollars en 2009.

Nous sommes jeudi midi ; encore quelques jours de repos. Lundi va revenir assez vite, prêt pour une balade de 14 heures pour me rendre au travail… Et mettre un peu l’épaule à la roue du grand capitalisme.

À suivre…

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