Raôul Duguay (photo : Bibliothèque François-Hertel)
De deux choses l’une : ou bien la création se fait comme un éclair et alors, aucune hésitation possible : c’est la voie courte…ou bien il faut y mettre beaucoup de temps, hésiter, patauger dans l’incertitude : c’est la voie longue. Le processus de création se plie spontanément ou bien à la liberté la plus totale possible et l’œuvre se construit à mesure sans autre contrôle que celui de l’émotion et de l’imaginaire, ou bien il obéit à un procédé déterminé d’avance, à un plan réfléchi et calculé où la liberté d’expression est conditionnée, contrôlée et orientée par une idée.
La voie courte
Dans le premier cas, qu’on pourrait appeler la voie courte, la respiration qui préside à l’élaboration de l’œuvre, est courte, rapide et superficielle, suspendue à la température de l’émotion et au rythme ponctuel de la perception sensorielle. L’œuvre est alors sujette à l’aléatoire de l’instantanéité. En cela elle constitue un danger (ça passe ou ça casse, réussite ou échec dès le premier geste). Cette voie représente un défi (celui de dépasser ses limites, de reculer les frontières du connu) ou une occasion de synchronisation immédiate avec le sujet (thème) exprimé. Pas le temps de penser. Juste le temps d’être. On risque le tout pour le tout. On est dans l’absolu, dans l’extrême de soi. On voyage instantanément au bouttt de soi. On fait confiance au mouvement de la main (crayon, clavier, pinceau, truelle, voix). Alors l’œuvre, si elle est réussie, transcende la réalité en ce sens qu’elle se fait à moitié elle-même. Je ne dirige pas le flot des mots, la vague des sons, la danse des couleurs, le mouvement des formes. L’œuvre se crée de manière automatique pour une bonne part. Cette part d’aléatoire qui la constitue est en fait le ressort déclenché par l’imagination créatrice ou l’intuition, elles-mêmes activées par une sensation, une émotion d’une haute intensité. C’est de l’art synthétique : tout se fait en même temps : le geste, le choix des couleurs, la direction des courbes et des droites, l’épaisseur qui définit le relief, la masse et les volumes. Bref, dans la voie courte, le tout est dans la partie et chaque partie appelle le tout. Dans ce cas, la gageure est de savoir quand partir, quand continuer et quand s’arrêter.
La voie courte est celle du poète poussant son crayon sans effacer, du chanteur et improvisateur musical poussant son murmure, son chant, son cri dans un swing libre mû par l’énergie de l’instant et par l’écho de cette énergie revenant du public. Les seules assises pouvant garantir le succès de cette aventure sont la confiance en soi et l’assurance de certains réflexes obtenus par une technique acquise par la discipline et la récurrence. À force de se jeter dans le vide, on finit par en avoir le goût comme un autre d’un sport extrême. La spontanéité volatile (la passion) est l’étincelle qui allume la création. L’incendie ne vient qu’après de multiples spontanéités devenant petit à petit, de l’air libre et solide.
Plusieurs de mes toiles ont été exécutées en quelques minutes seulement. Le temps d’analyse étant parfois la nanoseconde, ce sont des œuvres qui émergent d’une simple préfiguration : la floraison à foison. L’énergie immanente qui leur donne leur dimension cinétique et parfois giratoire est activée par des émotions fortes : la peur ou la rage de vivre, la grâce ou la jubilation de vivre. Rien de mat. Rien de plat. Lumière pure. Liberté inconditionnelle. Aucun tabou. Aucune règle. Aucune référence. Constamment sur le bord du précipice. Saut joyeutal ou déchirant dans le vide. Danse sur la corde raide du destin. À bout de souffle. Touttt est dans touttt. Touttt est au bouttt : au bouttt de touttt. Couleurs éjaculées directement du tube. Création pure à partir de rien. Touttt est possible. Big Bang ! Éros et Thanatos ! Alléluia mort ou vif ! L’imaginaire est la seule réalité capable de faire en sorte qu’un artiste la transcende. Le pouvoir de l’imagination a parfois pour tremplin la raison.
La voie longue
Dans le second cas, qu’on pourrait appeler la voie longue, la respiration lente et profonde qui enveloppe tout le processus de création suppose une architecture plus complexe contenant les éléments fondamentaux de l’œuvre et la juste proportionnalité dans leur répartition. Comme la voie longue est une voie pensée, voire méditée pendant de longues heures ou des années, elle contient une bonne part de procédures ou de procédés acquis par l’expérience et présidant aux décisions qui permettront d’élaborer une structure relativement contrôlable. L’œuvre est alors sujette à des choix rationnels, dont les symétries et dissymétries sont le mieux possible calculées selon les règles mathématiques de la géométrie de l’espace. Cette voie représente une certaine sécurité mais aussi une certaine incertitude. On voit venir les choses et l’on a un certain temps pour les conduire à leur place, à la bonne place dans l’ensemble. Le danger ici, c’est de s’asseoir sur un procédé apparemment stable et éprouvé. Le risque est grand de se copier soi-même, de se répéter, sinon de littéralement radoter les mêmes vieilles choses. Même les procédés peuvent devenir des automatismes, des réflexes. Ici, même la démesure est mesurée. La voie longue est celle du philosophe, du pédagogue, du chercheur. Ars longa, vita brevis !
Cependant, une troisième voie, la voie du milieu, est celle vers laquelle je m’oriente. Sur cette voie, la marche des choses se fait tantôt à pas courts et rapides pour aller vite vers les beautés de ce monde, et tantôt, à pas lents et longs, pour prendre le temps de me regarder passer devant tout ce qui demeure, tout ce qui peut encore demeurer. Il y a aussi le fait que, en quête d’harmonie et d’équilibre, je passe ma vie à vouloir jeter des ponts entre les extrêmes : entre l’éphémère et l’éternel, entre le multiple et l’un, entre la matière dont je suis et l’esprit qui l’insuffle, entre mes rêves et mes réalités, entre les deux bouttts de mon être.
Raôul sera très heureux de vous accueillir au lancement du livre sur ma carrière artistique.
Jeudi, le 27 avril, à 18 heures
Écomusée du Fier monde
2050, rue Amherst, Montréal
RSVP : Myreille Barette, Agence La Griffe
514 238-1588
Courriel : lagriffe@videotron.ca
Raôul chantera quelques chansons et exposera quelques toiles et sculptures lors de l’événement.
La bière la Bittt à Tibi, brassée à Amos avec de l’eau des eskers d’Abitibi, fera son entrée à Montréal pour l’occasion.
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