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- Chaîne d'artistes -

Je suis une femme de matière ••• et de couleur. » Rosie Godbout

Claude Beaugrand

Rosie Godbout  (Photo : Édouard Faribault)

Je me souviens d’être passé chez Rosie, à sa maison de Saint-Armand. C’était un après-midi de printemps. Je l’ai trouvée assise à sa table à piquenique en train de lisser à la main, à plat sur la table, un tissu qui ressemblait plus à un parchemin qu’à une étoffe. Un parchemin marqué de signes qui semblaient tenir des hiéroglyphes, ou encore des signes trouvés dans les grottes de Lascaux ! Elle travaillait ! Elle était en recherche et développement ! ! ! Elle inventait une nouvelle manière de faire, avec des matériaux vieux comme le monde : des fibres, de la laine, de la soie, du papier, des couleurs, de l’eau… Elle cherchait la forme et la technique qui lui permettraient de concrétiser l’idée, de la faire apparaître. Elle interrogeait la matière, comme un « primitif /ancien » découvrant…

Travail d’artisan(e), inventant à la fois la technique et l’œuvre, à travers l’ouvrage et le plaisir. Parce que Rosie rigole beaucoup ! ! ! Rosie, c’est cette image-là que j’ai d’elle une femme qui « ourdit » dans le rire et la lumière !

Rosie travaille dans l’esprit de la matière. Rosie est une artiste !

En fait Rosie travaille les tissus pour en faire des vêtements uniques, signés. Elle crée des vêtements. Voilà ce qu’elle fait depuis des années, en atelier, seule ou avec d’autres. Elle pratique un travail qui remonte à la nuit des temps : habiller le monde. Revêtir la bête d’une peau si belle qu’elle la rend digne de porter une âme !

Avec le temps, ses vêtements sont devenus des tableaux, et les porter, c’est s’exposer au regard des autres, à la rencontre et à tous les compliments : c’est s’exposer !

Je suis une femme de matière, je cherche  avec les mains.

« Ma source d’inspiration la plus grande, ce sont les arts primitifs, les vêtements cérémoniels, ces choses qui sont sacrées, qui dépassent un petit peu la nature … Je suis très impressionnée par l’art primitif, parce que tout a été fait, tout a été dit, c’est le point de départ, c’est notre source originelle … et ça me touche énormément ! A Paris, la première chose que j’ai faite en arrivant, c’est d’aller voir le Musée des Arts Premiers : tout ce que les êtres humains ont fait depuis le début des temps. Comment ils ont utilisé la matière pour faire des objets qui très rapidement ont dépassé leur fonction utilitaire parce que la beauté y est inscrite ! ! ! Et le vêtement, très rapidement, est devenu ou sacré ou objet du rituel, ou de l’initiation… J’ai toujours été étonnée de voir que la notion de Beauté s’est inscrite très rapidement chez les hommes. On a transcendé très rapidement ; l’homme s’est élevé par l’ornementation des choses usuelles. Et c’est là où l’être humain est le plus beau, dans sa création ! C’est la beauté qui me touche, quoi ! Ça m’inspire énormément. »

« Tous les gens sont touchés par la beauté ! Je suis toujours étonnée : je fabrique des vêtements que les gens achètent et, pour eux, c’est presque une cérémonie de les acheter ! Bon, j’exagère ; mais il reste que ce n’est pas un achat quelconque. C’est un geste important ! »

« Mon travail a beaucoup évolué. Au départ, je faisais du tissage, un métier qui date de très longtemps ; et maintenant je fais de la dentelle, du feutrage … Quand j’ai rencontré la technique du feutrage, ça m’a parlé. Je me suis dit : « Ça c’est pour moi ! ! ! » C’est comme si je voulais retourner encore plus loin vers les Origines. Je n’ai pas besoin de machines, je peux le faire directement avec mes mains, de l’eau, du savon ! Retourner aux sources des techniques les plus primitives ! J’ai une liberté totale dans ma création, je ne suis pas freinée par l’électricité, les mécaniques, etc. … Je suis en contact direct avec la matière ! Mes mains sont dedans ! Et c’est en ayant les mains dedans que j’arrive à créer, que les idées arrivent ! C’est d’être dans un corps à corps avec la matière tout en essayant de la séduire pour la transformer ! Sans tourner le dos aux techniques high-tech, je suis plus inspirée et séduite par le low-tech. »

« Mais mes objets sont très contemporains ! »

« Principalement, je fais des vêtements. Alors, forcément, quand je fabrique un tissu qui va être transformé en vêtement, je sais où je m’en vais. Ça impose quand même des paramètres spécifiques auxquels je réfléchis. Mais je me laisse toujours guider par la matière. Un accident m’amène ailleurs ; je suis toujours très ouverte à l’imprévu. »

« J’ai fait vingt ans de tissage, mais je n’étais pas dans la complexité du tissu. Moi, c’était la couleur, la texture, le décor… et j’en avais fait le tour, je devais me libérer du tissage. Alors, avec ces techniques-là (le papier soluble, le feutrage), c’est comme la peinture : je dispose des fibres sur le papier, comme je veux … un petit tas de fils, je les organise un petit peu comme un tableau. Je les couds et les coupe ; le papier se dissout et puis j’obtiens un petit carré qui tient tout seul ; tous les fils sont pris comme dans une toile d’araignée ! Et c’est la surprise. C’est comme quand on développe une photo (argentique), le moment où elle se révèle : le moment de bonheur … tout se tient ! Le tableau existe ! Ce sont des techniques très simples qui me laissent énormément de liberté de création et qui m’offrent toujours une petite surprise ! Et le résul­tat arrive assez rapidement, comparé au tissage qui se prolonge sur des semaines … Tu es physiquement impliqué avec la matière ! ! ! Dans l’immédiat. Mais il ne faut pas rester prisonnier de la technique, il faut s’en servir pour parler personnellement. »

Mais d’où vient-elle et comment en est-elle arrivée à faire ce qu’elle fait ?

Originaire de Toulon, Rosie est arrivée au Québec en 1967 … Comment en est-elle venue au textile ?

« Petite, j’ai toujours eu envie de dessiner, de peindre. Je n’ai pas fait les beaux-arts parce que mes parents n’ont pas pu me les payer. Je me suis dirigée vers l’éducation physique, et j’en ai fait mon premier métier. Arrivée au Québec en 1967, j’ai enseigné l’éducation physique pendant dix ans tout en faisant de la danse. Et c’est en 1977 que j’ai rencontré une femme qui m’a enseigné le tissage et là j’ai commencé à faire des murales. C’est à ce moment-là que je me suis installée à la campagne, à Saint-Armand.

« C’était la période «granole», la liberté. Tout le monde faisait de l’artisanat à l’époque. C’est presque par inadvertance que j’ai fait des vêtements. Je n’ai jamais fait de vêtements pour mes enfants, je ne suis pas styliste, je ne suis pas couturière … je ne sais pas coudre ! ! ! J’ai voulu que mes murales soient portées, c’est tout. Alors je les ai transformées en vêtements ! Et j’ai toujours pensé qu’un vêtement, c’est un tableau !

« Et puis, à Pigeon Hill, Je rencontre Danièle Dansereau, qui faisait aussi du tissage. Alors, à deux, on a décidé de faire le Salon des métiers d’arts ! À deux, tu oses. On s’est inscrites, et en une semaine, on a vendu tous nos vêtements ! Et là j’ai décidé de faire ce métier sérieusement ! J’ai suivi des cours, des stages de perfectionnement. Rien n’a été prémédité, tout s’est fait comme ça, progressivement. Je suis quelqu’un qui aime se surprendre, qui doit avancer, qui ne peut se contenter de toujours faire la même chose, alors c’est normal que j’aie évolué sans arrêt… Après, j’ai trouvé des gens pour m’aider, pour faire la couture, etc. … mais pas pour en faire une industrie, ça m’aurait tuée ! ! !

« Maintenant, j’ai des vêtements dans des boutiques. Mais ça demeure de la création unique. »

Rosie est aussi boursière du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec et du ministère des Affaires culturelles du Québec. Elle est récipiendaire de plusieurs prix dont le Grand Prix de métiers d’arts du Québec à deux reprises, et elle fut intronisée au One of a Kind Hall of Fames de Toronto. Ses œuvres ont été exposées à Toronto, Vancouver, New York, Chicago, Paris, Barcelone, ainsi qu’à Las Vegas, à la boutique du Cirque du Soleil.

« J’ai toujours voulu exceller pour moi-même, et dans tous ces concours, comme il y a des thèmes imposés, j’ai toujours utilisé ça pour me faire progresser, en prenant un chemin qui m’est inconnu et dans lequel j’apprends énormément. »

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