Guy Dufresne (Centre d’archives de Québec, Fonds Guy Dufresne (MSS279-048))
La belle écriture
J’avais rencontré Guy Dufresne un soir de l’hiver 1968. J’étudiais à Montréal. Ayant raté l’autobus qui desservait alors la région au sud d’Iberville, je faisais du pouce quelque part aux environs de Sabrevois. Il me prit à bord de son véhicule. Ainsi, on fit connaissance. J’appris, un peu étonné, qu’il était auteur de téléthéâtres pour Radio-Canada. Il écrivait aussi des pièces de théâtre pour la scène. Il revenait justement de Montréal où, cette fois-ci, il avait été requis comme soutien au metteur en scène qui « montait » l’une de ses pièces au Théâtre du Nouveau-Monde. Quelques mois plus tard, j’assistais à la représentation de la pièce Les Traitants, qui reçut un accueil élogieux de la critique, et avec raison.
Les Traitants est une magnifique fresque du temps du commerce illicite de l’eau-de-vie en Nouvelle-France. L’auteur y dépeint les assises d’une commission d’enquête de l’époque, la truculence des réparties des trafiquants, le chaos quand tous parlent en même temps, le désarroi des Amérindiens. Très beau, le discours que tient, à la fin du premier acte, Christine, la vieille Autochtone, un poème juste et grave.
Ici, comme dans ses autres textes, l’écriture de Guy Dufresne est belle, est précise. Il aime le mot juste. Il a l’amour du mot rare. Il est passé maitre dans la recherche et l’utilisation des mots colorés de l’époque, dont plusieurs ont subsisté, malgré qu’un grand nombre aient disparu avec le recul de ce que l’on appelait le joual et ses québécismes et qui ne furent pourtant pas que de l’ivraie, comme on l’a prétendu. Le parler québécois d’il y a peu de temps était assez savoureux et inventif.
Dans ses pièces de théâtre historiques, Guy Dufresne a fait de longues recherches afin de restituer le parler de la Nouvelle-France. Il est marquant aussi que l’auteur ne se soit pas satisfait seulement des mots glanés dans les vieux écrits qu’il scrutait à fond ; il n’hésitait peut-être pas non plus à en inventer de son cru dans le style de l’époque.
Quelques exemples du vocabulaire de Guy Dufresne
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Plus tard, je lui ai demandé conseil à propos de mes propres essais en poésie, écrits de temps à autre. Il s’est prêté à l’exercice avec bienveillance et amabilité.
Il m’a remis mes textes en soulignant les faiblesses et les bons points aux crayons rouge et bleu. Il insistait sur la nécessité de dire des choses nouvelles, originales. Entre autres conseils, il m’a conseillé la lecture d’auteurs que lui-même avait appréciés. Né à Québec, d’Alain Grandbois, Kamouraska, d’Anne Hébert, Iroquoisie et les autres livres de Léo-Paul Desrosiers, l’un de ses amis. « Pour acquérir un français pur, dit-il, lis le journal Le Monde dont le français est excellent. » « Le français préfère le verbe avoir au verbe être, il préfère l’actif au passif, tout comme il préfère le verbe au substantif. »
J’ai lu ainsi ses propres livres et ai assisté à ses pièces de théâtre.
Quand, plus tard, j’ai eu besoin d’un nom pour mes éditions de livres, je n’ai même pas eu à chercher. Ce fut La Soleillée, le mot qui m’avait séduit. Au Québec ce n’est que Guy Dufresne et l’auteur Clément Marchand qui semblent l’avoir utilisé.[1]
Il voulait faire vrai
En tombant en amour (ou dans les pommes) avec une Gaspésienne, Guy Dufresne a aussi adopté la mer. Ce qui lui servit largement pour l’écriture des 117 épisodes de Cap-aux-Sorciers, diffusés du 7 juin 1955 au 12 juin 1958.[2]
« Il avait du plaisir à écrire sur la mer, en témoigne Cap-aux-Sorciers », explique madame Michelle Roy-Tougas, fille de Paul-Omer Roy. Ainsi, quand il écrivait la télésérie Septième Nord, dont l’action se déroulait dans un grand hôpital montréalais, il venait chaque semaine à Bedford, voir son mari, le Dr Adrien Tougas, ceci avec ses textes en tête. « Il venait son jour de congé et ils parlaient alors jusqu’à minuit passé. Entre autres de médecine. Il fallait que cela soit véridique. Il déplorait de ne pas assez connaître cela. »
Il faut dire néanmoins que Guy était issu du milieu médical ; et son père et deux de ses frères étaient médecins. Il appert aussi que sur le plateau de tournage de cette émission, il y avait toujours un médecin en service, afin de s’assurer de la véracité du texte.[3]
Madame Marthe Lanctôt raconte que Guy écrivait au crayon de plomb – plus tard, il utilisera un dictaphone – et que sa mère, Thérèse Godbout-Lanctôt, dactylographiait les textes. Ce qui fut une occasion pour les jeunes, bien que tenus au secret, d’être aux premières loges pour prendre connaissance de la suite de l’histoire.
Les 162 émissions de Septième Nord ont été diffusées du 29 septembre 1963 au 28 août 1967.[4]
En outre, les 108 épisodes de Les Forges de Saint-Maurice, une autre série télévisée réussie, ont été diffusées du 11 septembre 1972 au 19 mai 1975.[5]
Serge D’Amour, voisin et l’un des amis les plus proches de Guy, raconte qu’il avait vue sur l’avant de la maison de ce dernier. Quand celui-ci était en travail de création, il le voyait marcher pendant des heures, de long en large sur la terrasse. Ou encore, il venait pour une marche au cours de laquelle il exposait des intrigues, des quiproquos et de possibles dénouements. « Je n’avais pas à parler, confie Serge. D’ailleurs je ne comprenais pas toujours, il suffisait que j’écoute, qu’il puisse penser à voix haute, essayer ses idées. »
Ses pièces de théâtre étaient construites avec précision. Il ne lésinait pas sur les efforts afin de bien documenter son travail.
Un auteur engagé
Les personnages de Guy Dufresne ne sont pas vraiment en recherche d’un auteur. Ils incarnent assez bien la vision humaniste qui était celle de leur créateur. Ils sont attachants. Même les moins francs reçoivent une dose de compréhension. Au gré de leur entrée en scène, l’auteur exprime ses sympathies pour ses causes.
Ainsi, son ami Serge D’Amour raconte : « M. Dufresne, qui lisait énormément de livres d’histoire, avait été assez attristé à la lecture du livre Le pays renversé de Denys Delâge. D’un côté, il portait un grand respect aux Jésuites qui l’avaient formé, de l’autre, il pouvait difficilement excuser la manière dont ils avaient traité les peuples autochtones. » Il laissait donc une ample place sur scène à ceux-ci, dont les répliques disent assez bien le sentiment de solidarité qui l’unissait à eux. Il y a ainsi Christine, Moussocoy ou Ouabano dans Les Traitants, Bras d’Ours, dans Ce maudit Lardier, etc.
Guy Dufresne était aussi en quelque sorte un féministe de la première vague. Le 18 avril 1940, le gouvernement de M. Adélard Godbout adoptait, une vingtaine d’années après les autres provinces, la loi donnant le droit de vote aux femmes, mais là aussi un « renversement » était dû et n’était qu’à ses débuts.
Dufresne décrit le sort des femmes, tel qu’il pouvait les observer, jouant avec courage les seconds rôles. Faisant face à des hommes qui, la plupart du temps, sont peu enclins à leur laisser de l’espace, mais dont plusieurs héroïnes arrivent à prendre le dessus. Ainsi, dans Le Cri de l’Engoulevent, Gabrielle, une combattante, confronte un père dominateur alors que sa mère s’efface devant son mari. Ou encore, Docile, dans la pièce du même nom, dont l’entourage combine pour contrer le choix de son amoureux, mais qui persiste. Véronique, aussi, dans Ce maudit Lardier, devant un séducteur sans scrupule qui l’abandonnera. Dans Cap-aux-Sorciers, Fabienne aussi fait face à un séducteur.
(suite au prochain numéro)
[1] Soleillée, substantif féminin, régionalisme, vieilli. Brève apparition du soleil par un temps couvert ; rayon de soleil. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960), publié par le Centre de la Recherche Scientifique à Paris
[2] Cap-aux-Sorciers, Qui Joue Qui, http://quijouequi.com/oeuvre/258/cap-aux-sorciers
[3] Monique Miller
[4] Septième Nord, Qui Joue Qui, http://quijouequi.com/oeuvre/393/septieme-nord
[5] Les Forges de Saint-Maurice, Qui Joue Qui,
http://quijouequi.com/oeuvre/295/forges-de-saint-maurice-les
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