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Du bitume et des hommes

Lettre bitumineuse 3
Éric Madsen

La technologie a bien changé avec le temps ! House River Derrick No 1, Été 1919 (photo : d’après une photo du Canadian Petroleum Discovery)

Malgré une industrie hautement décriée à travers le monde, les sables bitumineux de l’Alberta sont devenus une incroyable source de travail pour des milliers de travailleuses et travailleurs. La population albertaine est bien sûr la première à en profiter. L’incessant besoin de main d’œuvre a changé le portrait démographique de bons nombres de communautés. Par exemple, la population de Fort McMurray, ancien village de trappeurs et de bûcherons, a plus que triplé en l’espace de 15 ans, passant de 34 000 en 1994 à 101 000 en 2009. La hausse de la population – 8 % par an – a fait du secteur de l’immobilier le plus cher du pays : une maison de quatre chambres atteint plus de 620 000 dollars. Cette forte croissance ne s’est pas fait sans apporter son lot de problèmes sociaux et de disparités économiques entre ceux qui profitent de la manne et ceux qui EN sont exclus, dont les premières nations.

Le visage socio-économique de toute cette région s’est trouvé transformé, il en va de même pour l’occupation du territoire. Les fils d’agriculteurs établis depuis plusieurs générations ont préféré le chant des sirènes oléagineuses plutôt que les travaux souvent éreintants des champs ou de la forêt. Champs de blé pour champs de pétrole, tel est l’inéluctable changement. Le grand besoin de main d’œuvre ne pouvant être comblé provincialement, les pétrolières n’ont eu d’autres choix que d’inciter massivement des travailleurs des autres provinces canadiennes à venir travailler sur leurs sites. Les provinces limitrophes de l’Alberta ont été les premières sollicitées, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique subissant un exode périodique de cerveaux et de bras. Toutes les autres provinces ont elles aussi participé à ce melting-pot canadien.

Il y a aussi bon nombre d’immigrants étrangers venus profiter de l’Eldorado pétrolier canadien. Ceux-ci proviennent principalement d’Asie, de l’Inde et d’Extrême-Orient.

Toute cette cohabitation ne se fait pas sans heurts, loin de là. Il n’est pas rare de lire des messages haineux et anti-francophones dans les toilettes portatives des chantiers de construction, ou d’entendre des propos pas toujours bienvenus. Mais le travailleur étranger qui parle anglais aura certes un avantage indéniable sur celui ou celle qui ne possède pas ou peu la langue de Shakespeare.

Car il faut bien l’admettre, cette arrivée massive de travailleurs étrangers ne plaît pas à tous, surtout depuis quelques mois, alors que le taux de chômage albertain est monté en flèche et que les méga-chantiers sont inexistants pour l’instant. Reste que les grands perdants et exclus du boom bitumineux sont les Autochtones. Une faible minorité d’entre eux travaillent pour les pétrolières, soit environ 8 % de leur main d’œuvre. La majorité de leur territoire (équivalant à presque le quart de la France) a été  exproprié, souillé et contaminé. On peut alors comprendre leur méfiance face à l’envahisseur, certaines tribus n’ayant de contacts avec l’homme blanc que depuis seulement trente-cinq ans. En 2003, les Premières Nations ont engagé un partenariat avec les représentants de l’industrie et des gouvernements municipal, provincial et fédéral pour gérer les conséquences du développement dans leurs territoires. Sept ans plus tard c’est un échec, toutes les parties sont tombées d’accord pour… ne plus travailler ensemble. Pas facile de trouver l’équilibre entre la protection d’un mode de vie ancestral et l’afflux d’argent qu’apportent les redevances des pétrolières versées aux c o m m u n a u t é s autochtones.

Rappelons-nous que plus de 65 % du pétrole albertain va aux États-Unis, une part qui ne baissera jamais en vertu de la clause de proportionnalité de l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna). Malgré quelques critiques issues des rangs démocrates, Barack Obama n’a rien changé à la donne. De son côté, l’Albertain et fils d’un cadre d’Imperial Oil, Stephen Harper aime à rappeler son goût pour le libre marché, l’intérêt de la Chine et ses 1,9 milliard de dollars canadiens investis en 2009. Qu’elles soient américaines, européennes ou asiatiques, les grandes pétrolières ont déjà enseveli dans les sables plus de 200 milliards de dollars canadiens1.

Ô Canada… terre de nos aïeux…

1. Le Monde diplomatique, avril 2010.

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