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Touttt est dans touttt… Touttt est au bouttt…

Raôul Duguay

Le titre de cette chronique est le refrain d’un rock très énergique que j’ai enregistré en 1975 sur Alllô Toulmond, mon premier disque. Consacrée par l’Infonie, groupe composé d’une trente-troizaine de musiciens, poètes et créateurs en arts visuels que j’ai cofondé avec Walter Boudreau en 1967, l’expression touttt est dans touttt que l’on m’a attribuée, est en fait la traduction littérale (avec l’accent kébékois) de l’axiome to ento pan du philosophe grec Anaxagore (500-428 av. J.-C.) signifiant que tout, dans l’Univers, est interconnecté ou en interdépendance. Tel est le point de vue des bouddhistes et de plusieurs philosophes et scientifiques qui considèrent que « le tout est plus que la somme des parties » et que l’approche holistique ou globale de la réalité doit avoir priorité sur la vision analytique qui réduit la réalité à ses parties. Au XVIIe siècle, le philosophe et mathématicien Leibniz a précisé cette vision d’Anaxagore : « Tout est dans tout, à la fois une partie et un tout. »

On définit le holon (du grec ὅλον, « en entier ») comme quelque chose qui est à la fois un tout et une partie. Selon Arthur Koestler (1906-1983), toute personne fait partie d’une unité (l’organisation sociale) qui l’englobe. Toute personne s’ouvre à des unités (des personnes) qui l’englobent. Chaque personne est autorégulatrice et autonome (indépendante) comme un tout. Chaque personne est dépendante comme une partie. Se manifestant dans le partage, la compassion, la fraternité, l’interdépendance est le moteur de l’évolution.

Nous vivons dans une civilisation individualiste où il semble plus jouissif de se joindre sur le Web, caché derrière un écran, que de se rencontrer dans le réel. Comme c’est le tout qui donne sens et valeurs à ses parties, ne faut-il pas, comme le suggère Joël de Rosnay, scientifique humaniste, passer du « chacun pour soi » au « chacun pour tous », de l’égocitoyen à l’écocitoyen ? Contrairement à la peur, ténébreuse tactique des totalitarismes et des extrémismes, l’interdépendance, fondée sur le respect des différences est le moyen le plus simple et le plus rapide pour vivre dans l’équité sociale et la liberté. N’est-il pas plus facile et surtout, plus agréable, d’amorcer une relation en reconnaissant d’abord nos ressemblances plutôt que nos différences ?

La partie et le tout

Dans ma chanson « Touttt est au bouttt » je dis aussi que « touttt en étant différent de touttt homme, touttt homme est semblable à touttt homme… nous ne sommes qu’un seul homme… » Bref, chacun de nous est l’humanité. Cette réflexion sur l’unité de l’humanité m’a été inspirée par l’astronome, avocat et boxeur Edwin Hubble qui, en 1929, regardant dans son télescope, a fait une découverte cruciale : quel que soit l’endroit où il pointait sa lunette dans le ciel, il constatait que les galaxies s’enfuiyaient rapidement et que, par conséquent, l’Univers était en expansion. En fait, iI semble qu’il y a de cela 13,7 milliards d’années, âge que les astronomes et physiciens donnent à l’Univers, tous les objets célestes étaient exactement rassemblés dans un point infinitésimal contenant toutes les possibilités d’être. Virtuellement, nous y étions tous. Et comme nous sommes tous faits des mêmes particules que celles du début de l’Univers, nous y étions tous très très près les uns des autres. Ainsi, la partie et le tout ne faisaient qu’un.

Autant qu’il m’en souvienne, la première fois que j’ai pris conscience que j’étais une partie du tout, j’avais neuf ans. À l’orphelinat de Lévis, loin de mon Abitibi, je m’ennuyais de ma mère. Mais souvent le soir, j’assistais au plus beau et plus grand spectacle du monde : un coucher de soleil sur le fleuve Saint-Laurent, la fusion du ciel et de la Terre ; le pont entre la rive du réel et celle du rêve, le pont entre la réalité de l’ici-maintenant et l’ailleurs de l’imaginaire. J’étais branché sur l’infini. Ainsi est née la poésie en moi.

Dans l’Infonie, quand nous avions le sentiment d’aller « au bouttt » de nos rêves et que nous avions l’impression que notre créativité était le « bouttt de touttt », touttt nos molécules flottaient de plaisir et nous nous exclamions : « touttt est au bouttt » Mais pourquoi trois « t » ? En 1970, l’expression populaire à la mode était « c’est too (two) much  », mais comme les infoniaques tripaient sur le triangle et le nombre trois, touttt était toujours « three much ». Pour faire fleurir la paix dans nos cœurs et nos esprits, plusieurs d’entre nous méditaient chaque jour et chantaient le mantra om. C’est dans le silence intérieur que j’ai vécu ce sentiment d’unité avec le tout.

 L’Univers est une fleur

L’image correspondant au mantra om est le mandala. Sur le plan visuel, l’Univers ou le Tout est un mandala infini. Le symbole de l’infini a la forme d’un 8 à l’horizontale dont la coupe transversale donne deux 3. Comme 3, nombre premier, n’admet aucun diviseur hormis lui-même, il représente le retour à l’unité, à la totalité. D’autre part, transposé en géométrie, le 3 devient un triangle équilatéral. Or, l’image de la sphère que voici est constituée d’une multitude de triangles équilatéraux. N’est-il pas étonnant d’apprendre que, pour créer le dôme géodésique, à Terre des Hommes, Buckminster Fuller s’est inspiré de la forme d’une framboise constituée de pentagones eux-mêmes constitués de triangles. En architecture, il est reconnu que le triangle est la forme qui retient l’énergie et empêche la masse de s’effondrer. Le triangle équilatéral est le constituant formel des fractales de Mandelbrot (1924-2010).

Créée par le physicien Garrett Lisi, cette image est la représentation de l’unité et de la totalité de l’Univers. Quand je l’ai vue, je l’ai tout de suite perçue comme une fleur aux pétales infinis. Un grand sentiment de joie m’a envahi. Si l’image qu’on peut se faire de l’Univers est celle-ci, alors l’Univers est un hymne à la beauté. Et pour un artiste, créer de la beauté donne un sens à la vie, à la vie en tant qu’individu (la partie), à la vie en tant qu’individu relié à son environnement naturel et culturel (le tout).

Note de la rédaction

En octobre, Raôul est l’abonné du mois à l’émission Médium large animée par Catherine Perrin, sur Ici Radio-Canada Première. Il tient donc chronique tous les matins de semaine, peu après 10 heures. On trouvera ces chroniques sur le site
ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/medium-large

 

 

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