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- Chronique littéraire d'Armandie -

LA LITTÉRATURE, L’ÉCOLOGIE ET NOUS

Christian Guay-Poliquin

On l’entend, on le dit et on y croit. L’Armandie recèle de beautés. Ses rangs, ses collines, ses champs, ses villages ont d’ailleurs fait sa renommée à travers toute la province. Toutefois, la campagne n’est pas qu’un paysage. Et, on le sait, on feint souvent de ne pas voir l’envers du décor.

Ainsi, le récent éclairage apporté par Le Saint-Armand sur la situation des cours d’eau de la région nous force une fois de plus à ouvrir les yeux. Pollution, dégradation de l’écosystème, toxicité. Il est bien loin le temps où François-René de Chateaubriand, naviguant sur les affluents des Grands Lacs, s’étonnait de ne jamais apercevoir le fond rocheux de ces rivières cristallines à cause de l’abondance des poissons. Certes, on se doute bien du lyrisme enthousiaste du jeune explorateur français. Mais, si en lisant son récit Voyage en Amérique publié en 1827, nous jalousons tous secrètement le bonheur d’une nature aussi luxuriante, c’est donc que la mémoire des temps passés nous ramène indéniablement au présent. Et, plus près de nous, l’on regrette peut-être les jours où, souvent accompagnés par des baigneurs et des plaisanciers, les pêcheurs de tous âges se réunissaient au bout du quai de Philipsburg. Enfin, ce temps où personne ne craignait pour sa vie en mangeant le poisson de la baie Missisquoi…

Un autre petit vertige littéraire, cette fois en lisant Goat Mountain de l’écrivain David Vann, originaire de l’Alaska. Dans ce roman, un protagoniste nous raconte sa première chasse en compagnie de son père et de son grand-père. Récit initiatique qui tourne mal, le regard que porte le jeune narrateur sur la faune et la flore reste néanmoins d’une lucidité désarmante :

Le monde était presque vide. Je le savais déjà. La plupart des terres ne recelaient rien. Un désert. Il semblait donc possible que ce désert ait un jour été peuplé de gibier et que je sois né trop tard. Des dizaines de milliers d’années et j’étais arrivé vingt-cinq ans trop tard, j’en étais furieux, même à onze ans, furieux de mon héritage perdu.

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Si on accuse souvent la fiction de n’apporter ni certitude ni confirmation sur la condition de notre environnement et sur les comportements à adopter, rappelons qu’elle demeure toutefois le principal vecteur des espoirs et des préoccupations des générations qui se succèdent. Alors que d’un côté, les œuvres du passé nous permettent d’observer notre époque depuis celles qui sont révolues, de l’autre, les fictions contemporaines, en témoignant d’une certaine crise de l’avenir, nous mettent souvent en garde contre notre propre aveuglement.

En réalité, la littérature ne nous autorise pas de penser directement les bouleversements climatiques pressentis pour les temps à venir, cependant elle met en lumière le lien fondamental qui existe entre nature et culture, c’est-à-dire entre le devenir de l’écosystème et le devenir humain.

Ainsi, les œuvres d’Antoine Volodine, auteur français ayant remporté le prix Médicis 2014 pour son roman intitulé Terminus radieux, illustrent particulièrement bien les angoisses écologiques et sociales actuelles. Villes abandonnées ou reconstruites à la hâte, déserts jonchés de déchets, forêts inhabitées, camps de concentration en ruines, édifices envahis par la jungle, océans corrosifs, étangs de bitume, les lieux chez Volodine sont marqués par le dérèglement, le changement et le déséquilibre.

Les rues se sont vidées, il n’y a presque plus personne dans les villes, et encore moins dans les campagnes, les forêts. Le ciel s’est éclairci, mais il reste terne. On reconnaît les étendues de débris où, pendant un temps, des gens ont essayé de cultiver des plantes. Les seigles ont dégénéré. Les pommiers fleurissent tous les trois ans. Ils donnent des pommes grises.

Dans cet univers déroutant, les édifices s’effondrent, la nature s’étiole et les vivants errent en ruminant leurs souvenirs. Par contre, à l’image du pommier que l’on vient de citer, même si plus rien n’est ce qu’il était, tout subsiste, persiste et résiste. En faisant le récit de personnages qui survivent tant bien que mal dans ce monde irrémédiablement marqué par la désolation, Volodine nous rappelle que seule la résilience des idéaux et des espoirs communautaires permet à chacun de croire – encore – en sa propre existence et à la suite du monde.

Enfin, il n’est pas question ici de couvrir le présent de diverses conceptions nostalgiques de l’ère préindustrielle ou d’une fascination naïve pour le monde rural et les contrées sauvages, ou encore, à l’inverse, de l’inonder de visions catastrophistes. Il s’agit plutôt, à partir de la littérature, de rattacher notre présent à son histoire passée et future afin de l’interroger. En d’autres mots, si la fiction s’avère d’une certaine utilité pour penser l’époque actuelle, c’est qu’elle s’inscrit incontestablement en décalage avec le monde dans lequel nous vivons. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle nous permet de porter sur lui un regard qui ne nous serait pas permis autrement et que, ultimement, elle nous incite à ne pas rester là, les bras croisés.

*Œuvres citées dans cet article :

Voyage en Amérique (1827) de Chateaubriand, Goat Mountain (2014, éditions Gallmeister) de David Vann,

Des anges mineurs (1999, éditions du Seuil) et Terminus radieux (2014, éditions du Seuil) d’Antoine Volodine.

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